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Vers une reconnaissance internationale de la composante environnementale de la paysannerie – Les voies de la Convention sur la diversité biologique.

Note des auteurs

Cet article vise à proposer trois idées pour reconnaître la « dimension environnementale de la paysannerie » dans le droit international de l’environnement, en prenant l’exemple de la Convention sur la diversité biologique. Nous nous référons à un concept utilisé par la Constitution colombienne pour indiquer le devoir de prendre en compte la relation entre les paysans et la nature dans les décisions qui les affectent.

Cette réflexion s’inspire des débats et des engagements de la société civile autour de la célébration de la COP16 de la Convention sur la diversité biologique, qui aura lieu à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. A l’occasion de cet événement, de nombreuses organisations paysannes, environnementales et de défense des droits humains se sont engagées à réfléchir à la manière d’articuler le monde dans la tâche d’harmoniser la protection de l’environnement avec le mode de vie paysan. Sur cette voie, la Colombie a adopté une réforme constitutionnelle qui envisage le devoir de « reconnaître la dimension environnementale de la paysannerie » ; une décision que nous voulons montrer en exemple au monde.

Carlos Duarte est membre du groupe de travail sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Carlos Olaya est chercheur principal de la ligne « Terres et paysannerie » au Centre d'étude du droit, de la justice et de la société - Dejusticia.

Carlos Quesada est directeur de la ligne « Terres et paysannerie » au Centre d'étude du droit, de la justice et de la société - Dejusticia.

Rodrigo Uprimny est membre du Comité DESC des Nations unies et chercheur principal au Centre d'étude du droit, de la justice et de la société - Dejusticia.

Introduction

Dans cet article, nous proposons trois approches pour reconnaître la « composante environnementale de la paysannerie » dans le droit international de l’environnement. Ce concept, introduit dans la Constitution colombienne par l’Acte législatif 01 de 2023, exige que les processus décisionnels concernant les paysans tiennent compte de leur relation particulière avec les écosystèmes dont ils dépendent. Nous soutenons que ce mandat est également présent dans la Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) et dans d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme, ce qui ouvre des possibilités de mise en œuvre des traités internationaux sur l’environnement dans une perspective de droits des paysans. Nous illustrons les voies de reconnaissance que nous proposons en utilisant la Convention sur la diversité biologique (CDB).

Cette analyse est motivée par la nécessité d’élaborer des dispositions pour la protection des modes de vie des paysans. L’adoption de l’UNDROP a constitué un pas important dans cette direction. Cependant, l’harmonisation de la norme sur les droits des paysans avec les traités internationaux de droit dur antérieurs à l’UNDROP reste une tâche inachevée. Cela est particulièrement nécessaire dans le domaine du droit international de l’environnement pour deux raisons : les paysans continuent d’être confrontés à des conflits avec des acteurs privés et des autorités publiques concernant l’utilisation et la conservation des écosystèmes qu’ils habitent, et les normes existantes pour la protection de la relation entre les communautés rurales et leurs territoires se sont principalement concentrées sur les peuples autochtones. Il est donc nécessaire de définir des pistes d’action pour élargir la portée de la protection des droits environnementaux en faveur de la paysannerie.

Le texte est organisé en quatre parties. La première partie présente les conflits environnementaux auxquels sont généralement confrontés les paysans et décrit comment le droit environnemental colombien cherche à résoudre ces conflits par le biais de l’obligation constitutionnelle de « reconnaître la composante environnementale de la paysannerie ». Les trois parties suivantes détaillent les voies de reconnaissance de cette relation paysan-environnement dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique : comprendre les paysans comme sujets de droits environnementaux internationaux, inclure les normes de protection du mode de vie paysan dans les instruments de la Convention, et assurer la participation et la consultation des paysans dans les décisions impliquant la mise en œuvre de la Convention.

1. Qu’est-ce que la « composante environnementale de la paysannerie » et pourquoi est-il nécessaire de la reconnaître ?

La relation entre les paysans et l’environnement est à la fois ancienne et essentielle. Les paysans dépendent profondément de la nature pour leur reproduction matérielle et symbolique, ce qui fait d’eux des acteurs fondamentaux de sa conservation.

De nombreux cas témoignent de ces relations d’interdépendance écologique.

Le Mouvement pour l’accès à la terre en Afrique du Sud (LAMOSA), le Mouvement paysan des Philippines (KMP) et le Mouvement des travailleurs sans terre (MST) au Brésil sont des exemples concrets d’organisations sociales qui, tout en promouvant l’accès à la terre pour les paysans, visent à empêcher l’homogénéisation des paysages due à la monoculture.

De même, il est possible de retracer globalement des processus organisationnels tels que le syndicat de solidarité paysanne « Terre » (Solidarność Wiejska « Ziemia ») en Pologne, les réseaux d’agriculture écologique utilisant le système des terrasses dans la province du Yunnan (Chine), ou Via Campesina International elle-même, qui promeut des systèmes de production alimentaire durables fondés sur l’agroécologie et la souveraineté alimentaire.

Les formes de réorganisation sociale de la propriété proposées par des organisations paysannes telles que l’Association nationale des zones de réserve paysanne (Asociación Nacional de Zonas de Reserva Campesina – ANZORC) et le Coordinateur national agraire (Coordinador Nacional Agrario – CNA) avec les Territoires agroalimentaires paysans en Colombie illustrent également le dialogue entre les paysans et la nature. Ces initiatives plaident en faveur d’une réforme agraire populaire, cherchant à réconcilier l’agriculture paysanne à petite échelle avec ses dimensions environnementales et sociales.

Qu’est-ce que ces exemples ont en commun ?

Tout d’abord, l’application pratique des connaissances écologiques traditionnelles : dans la plupart des cas mentionnés ci-dessus, les paysans possèdent des connaissances écologiques approfondies transmises de génération en génération, ce qui leur permet de gérer leurs ressources de manière durable.

Deuxièmement, les processus complexes d’adaptation écologique à l’environnement sont évidents : les paysans ont développé des pratiques agricoles et des systèmes de gestion des ressources naturelles adaptés aux environnements locaux.

Troisièmement, les paysans du monde entier sont confrontés à de multiples menaces et développent des stratégies de résistance et de résilience : dans toutes les régions, les paysans sont confrontés à des menaces similaires, telles que l’expansion de l’agriculture industrielle, l’exploitation minière, la déforestation et l’urbanisation. Malgré ces défis, les paysans ont fait preuve d’une grande capacité de résistance et de résilience, défendant leurs territoires, leurs modes de vie et leurs droits.

Quatrièmement et finalement, le besoin de politiques et de territorialités écologiquement durables émerge : il est essentiel de faire avancer un paradigme de territorialités qui ne cherche pas à exclure les paysans. Au contraire, les politiques de conservation de la diversité mondiale devraient viser à intégrer les paysans, en faisant d’eux des acteurs fondamentaux de la conservation de la nature.

Ainsi, une composante environnementale de la paysannerie devrait inclure au moins les attributs suivants : i) la reconnaissance et l’appréciation des connaissances écologiques traditionnelles des paysans en tant que gardiens de connaissances inestimables sur la gestion durable des ressources naturelles ; ii) le devoir de l’État de soutenir les pratiques agricoles durables qui renforcent l’agriculture paysanne et les systèmes agroalimentaires locaux ; et iii) la symbiose entre la conservation de l’environnement et la protection des droits des paysans, car elles sont étroitement liées, garantissant que la justice sociale et environnementale s’inscrive dans des paysages interdépendants.

2. Première voie : les paysans en tant que sujets des droits de la Convention sur la diversité biologique

Pour reconnaître la composante environnementale de la paysannerie, il est nécessaire de les définir comme des sujets de droits environnementaux. C’est précisément ce que propose l’UNDROP. Cet instrument contient une série de garanties, dont certaines visent à protéger la relation entre les paysans et leur environnement (nous les aborderons plus en détail dans les sections suivantes). En outre, la Déclaration propose une définition de la « paysannerie » afin de déterminer qui pourraient en être les bénéficiaires. Selon le numéral paragraphe 1 de son article 11:

un « paysan» est toute personne qui mène ou qui cherche à mener, seul ou en association avec d’autres ou au sein d’une communauté, une activité de production agricole à petite échelle de subsistance et/ou destinée au marché, qui s’appuie largement, mais pas nécessairement exclusivement, sur la main d’œuvre de la famille ou du ménage et d’autres formes non monétaires d’organisation du travail, et qui a un lien particulier de dépendance et de rattachement à la terre.

Une telle définition peut inspirer la conception de nouveaux traités internationaux et servir à interpréter la définition des sujets des droits environnementaux dans les traités existants. La Convention sur la diversité biologique en est un bon exemple.

La Convention a défini quatre droits pour ce qu’elle appelle les « communautés locales et autochtones » dans ses articles 8(j) et 10(c, d) : i) à la réglementation, au respect, à la préservation et au maintien de leurs connaissances traditionnelles ; ii) à la promotion de l’application de ces pratiques et connaissances avec l’autorisation préalable des communautés ; iii) au partage équitable des avantages de ces connaissances ; et iv) à la protection et à l’encouragement de leurs utilisations coutumières de la diversité biologique2. Ces droits ont été reconnus pour respecter l’interdépendance qui existe entre les systèmes de vie de certains groupes humains et les ressources biologiques dont ils tirent leur subsistance3. Peut-on comprendre que la paysannerie fait partie des « communautés locales et autochtones » ? Nous le pensons.

Un instrument auxiliaire d’interprétation, développé dans le cadre de la Convention, aide à soutenir notre thèse : les critères du « Groupe de travail intersessions spécial à composition non limitée sur l’article 8(j) et les dispositions connexes de la Convention sur la diversité biologique »4 ; et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales -UNDROP-.

Lors de sa session de 2011, le Groupe 8(j) a proposé 24 critères comme éléments communs aux groupes sociaux dont les systèmes de subsistance sont basés sur l’utilisation de la biodiversité. La paysannerie répond à la plupart de ces critères. Par exemple, être paysan implique : l’auto-identification ; l’occupation traditionnelle d’un territoire définissable ; la présence de connaissances et de savoir-faire traditionnels ; les valeurs spirituelles et culturelles de la biodiversité ; la cohésion sociale et la volonté d’être représenté en tant que communautés ; parmi d’autres critères considérés par le Groupe 8(j)5.

Il convient de préciser que cette option interprétative est viable si les États l’adoptent en interne, dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention à l’intérieur de leurs frontières. La raison en est que la convention ne contient pas de définition explicite des « communautés locales et autochtones » et que la Conférence des Parties a recommandé de ne pas en adopter6. Il n’y a donc pas de consensus international à ce sujet. Par conséquent, si la reconnaissance des paysans en tant que sujets de droits environnementaux doit avoir un lien international, au-delà des interprétations nationales, il y a au moins deux options.

La première consiste à amender la CDB. Il s’agit d’activer la procédure d’amendement prévue à l’article 29 du traité. Selon cette règle, toute partie peut proposer des amendements, qui doivent être approuvés par consensus entre les parties, ou par une majorité de ⅔ en dernier ressort. Cette option semble compliquée et inapplicable.

La deuxième option consiste à faire adopter une recommandation de changement terminologique par la Conférence des Parties. Cette option a été adoptée par la COP12 en 2014, à Pyeongchang7, pour remplacer l’expression « communautés autochtones et locales » par « peuples autochtones et communautés locales ». Il s’agit d’un changement recommandé par l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, qui a trouvé un écho dans les discussions de la Conférence des Parties et du Groupe de travail sur l’article 8(j)8. Tout cela afin de reconnaître les revendications d’autonomie et de souveraineté des populations autochtones.

Cependant, comme il n’a pas été traité comme un amendement à la Convention, la Conférence des Parties a déterminé que le changement de terminologie : appliqué aux décisions futures et aux documents annexes, était de nature « exceptionnelle », « sans préjudice de la terminologie utilisée dans la Convention » et n’avait pas d’effet juridique sur « l’interprétation ou l’application de la Convention ».

De même, il pourrait être suggéré par une voie similaire à la Conférence des Parties d’adopter un autre changement terminologique pour, par exemple, adopter la catégorie des « peuples autochtones, communautés paysannes et locales » pour les décisions futures et les documents annexes. Cependant, le prix à payer serait qu’une telle décision n’obligerait pas les États parties à reconnaître les sujets paysans, car elle n’aurait aucun effet sur l’interprétation du traité, et donc sur l’absence de consensus international sur la signification des « communautés locales ».

Deuxième voie : Inclusion des droits des paysans dans les stratégies et les plans d’action en matière de biodiversité

La composante environnementale de la paysannerie sous-tend plusieurs des droits environnementaux établis dans l’UNDROP. De même, la Convention sur la diversité biologique contient des dispositions qui s’alignent sur ces droits des paysans dans au moins deux domaines : l’autonomie dans la gestion des éléments environnementaux et la promotion de moyens de subsistance durables. Voyons cela plus en détail.

Tableau 1. Cohérence entre les droits environnementaux de l’UNDROP et les obligations de la CDB.

Axes UNDROPCDB
Autonomie environnementale-Droit à la participation et consultation des paysans (art. 2,3) (art. 5,2,a) (art.10.2) (art.11) (art.27)
-Droit aux semences (art. 19)
-Obligation de protéger les savoirs traditionnels paysans (art. 20, 2).
-Article 8 (j), sur les connaissances et les modes de vie présentant un intérêt pour la conservation
-Article 10 (c) sur la protection de l’utilisation coutumière des ressources biologiques
-Article 14.1 (a) sur la participation du public à la réduction des impacts sur la biodiversité
Moyens de subsistance durables-Droit de choisir son propre système agro-alimentaire (art. 15, 4) -Droit à des moyens d’existence suffisants (art. 16) -Droit à la conservation et à la protection de l’environnement (art. 18). Droit à la conservation et à la protection de l’environnement (art. 18) -Obligations de conservation de l’environnement et de protection contre la propagation des organismes vivants (art. 20) -Droit à l’éducation (art. 25)-Article 8 (a, b, c, d, e, h, i, k, l, m), sur la conservation in situ
-Article 10 (a, b, d et e), sur l’utilisation durable des éléments constitutifs de la diversité biologique
-Article 11, sur les mesures d’incitation
-Article 12, relatif à la recherche et à la formation
-Article 13, relatif à l’éducation et à la sensibilisation du public.

Par droits à l’autonomie environnementale, nous entendons les attributs qui permettent aux paysans de déterminer leurs relations avec l’environnement par le biais de processus participatifs qui respectent leurs connaissances et leurs usages traditionnels. Comme décrit ci-dessus, la Convention sur la diversité biologique reconnaît explicitement de telles garanties pour les « communautés locales » dans les articles 8(j) et 10(c), ainsi que pour le « grand public » dans le contexte de l’article 14.1(a). L’UNDROP réitère ces règles dans ses articles 2, 5, 10, 11, 20 et 27, qui reconnaissent les droits de participation – qui seront examinés plus en détail ci-dessous – et définissent les obligations en matière de savoirs paysans traditionnels, de plus, l’article 19 spécifie plusieurs normes sur la question spécifique des semences. Il s’agit notamment du droit de conserver, d’utiliser et d’échanger les semences conservées après la récolte (art. 19, 1, d) ; et du droit de conserver, de contrôler, de protéger et de développer leurs propres semences (art. 19, 2).

Les droits à des moyens de subsistance durables obligent les États à promouvoir et à protéger l’adoption de pratiques de production durables par les paysans et à prévenir les dommages causés aux écosystèmes et aux processus écologiques dont ils dépendent. Dans le cadre de l’UNDROP, ces obligations sont dispersées dans plusieurs de ses droits. Par exemple : le droit aux ressources naturelles contient des règles sur les impacts sur les ressources utilisées par les paysans (art. 5, 2) ; le droit de veto sur les produits agrochimiques (art. 14, 2) ; l’obligation de faciliter les transitions vers des modes de production agricole durables (art. 16, 4) ; ou encore la règle selon laquelle le droit à l’éducation des paysans doit être adapté à leur environnement agroécologique. La Convention sur la diversité biologique établit des obligations cohérentes avec ces garanties. ces obligations promeuvent la protection et l’utilisation durable de la biodiversité, à travers des mesures telles que : des systèmes de zones protégées9, des politiques de restauration et des systèmes de contrôle des risques de la biotechnologie (article 8) ; l’obligation de fournir une assistance aux populations affectées par les zones de diversité biologique dégradée (article 10, d).

Cependant, au-delà de la cohérence conceptuelle, des approches interprétatives différentes sont nécessaires pour rendre ces deux types de droits juridiquement applicables dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique. Les obligations correspondant aux droits à l’autonomie environnementale reconnus dans l’UNDROP découlent directement, dans leur formulation, des articles 8(j) et 10(c) de la CDB, et sont donc directement contraignantes – en considérant les paysans comme des « communautés locales », selon notre argumentation – ; le droit aux semences peut être compris comme une spécification des garanties de ces articles. D’autre part, les obligations de la Convention sur les moyens de subsistance durables sont de nature générale et ne visent pas exclusivement les « communautés locales » ; par conséquent, il incomberait à chaque État d’adopter un critère différentiel en faveur des paysans dans leur mise en œuvre, afin de rendre contraignant ce type de droits reconnus dans l’UNDROP.

Pour prendre de telles décisions interprétatives, la Convention sur la diversité biologique prévoit des « stratégies et plans d’action nationaux en matière de biodiversité » (SPANB). Il s’agit de l’instrument de planification mandaté par le traité à l’article 6(a), dans lequel chaque État dépose les objectifs et les actions qui guideront la mise en œuvre du traité à l’intérieur de ses frontières. Ceux-ci doivent à leur tour être cohérents avec les objectifs, les buts spécifiques et les indicateurs proposés par la Conférence des Parties pour vérifier le respect du traité. Actuellement10, ceux-ci sont définis dans le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal11.

Le contenu du Cadre mondial est cohérent avec les deux types de droits des paysans dont nous avons parlé. Comme nous le montrons ci-dessous, plusieurs des objectifs de cet instrument peuvent être poursuivis en garantissant les droits à l’autonomie environnementale et les droits à des moyens de subsistance durables pour les paysans.

Tableau 2. Cohérence entre les droits environnementaux de l’UNDROP et les objectifs du Cadre mondial de Kunming-Montréal

Types de droits de l’UNDROPObjectifs du Cadre mondial de Kunming-Montréal
Droits en rapport avec l’autonomie environnementaleObjectif 1. Selon cet objectif, l’aménagement de territoires pour la biodiversité est participatif.
Objectif 3. Selon lequel l’objectif d’avoir 30% de la surface mondiale gérée par des zones protégées est atteint en reconnaissant les territoires indigènes et « traditionnels » (qui devraient inclure la paysannerie) et en incluant également d’autres mesures de conservation.
Mettre en œuvre des paramètres de mesure pour garantir un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles.
Objectif 22. Sur la participation et la représentation pleines et équitables.
Droits en rapports avec les moyens de subsistance durablesSur la réduction des risques de contamination, y compris par les pesticides
Sur la gestion et l’utilisation durable des espèces sauvages, avec des avantages pour « les personnes en situation de vulnérabilité et celles qui dépendent le plus de la diversité biologique ».
Sur les zones productives gérées de manière durable
La restauration de la contribution de la nature et la protection des risques environnementaux.
L’élimination des incitations perverses qui affectent la biodiversité.

En résumé, dans cette deuxième voie, la reconnaissance de la dimension environnementale des paysans implique : (a) la décision d’utiliser les droits environnementaux reconnus dans l’UNDROP pour spécifier les obligations de la CDB ; (b) les droits à l’autonomie environnementale peuvent être dérivés directement du traité, tandis que les droits aux moyens de subsistance durables nécessitent une décision interprétative interne de la part des États pour garantir des critères différentiels en conformité avec la CDB ; et (c) ces décisions peuvent être prises dans le cadre de l’élaboration et de la mise à jour des stratégies et des plans d’action sur la biodiversité, en suivant les objectifs établis dans le cadre Kunming-Montréal qui sont cohérents avec les droits des paysans.

4. Troisième voie : Participation de la paysannerie aux décisions relatives à la CDB

Enfin, la dernière voie proposée pour la reconnaissance de la composante environnementale de la paysannerie porte spécifiquement sur la participation des populations paysannes aux décisions environnementales qui les concernent. Cela implique leur inclusion effective dans les mesures prises dans le cadre des traités internationaux.

En principe, le droit de participer aux affaires publiques a été reconnu au niveau mondial et régional dans le droit international des droits de l’homme. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – dans son article 25 – et la Convention américaine relative aux droits de l’homme – dans son article 23 – le réglementent dans le cadre des obligations des États de mettre en œuvre des mécanismes politiques démocratiques. Le contenu et la portée de ce droit ont été laissés à la réglementation interne et à l’interprétation des États, mais, en matière d’environnement, de nouveaux développements sont venus préciser les règles de sa mise en œuvre.

C’est le cas des accords d’Escazú et d’Aarhus. Tous deux disposent (article 7 ; articles 6, 7 et 8, respectivement) que le public doit être associé au processus décisionnel en matière d’environnement par le biais de mécanismes différenciés, selon que les décisions portent sur des activités spécifiques ou générales, telles que les réglementations, les politiques, les plans et les projets ; qu’il doit avoir accès en temps utile aux informations pertinentes ; qu’il doit être présent à toutes les étapes du processus, entre autres garanties.

Face à ce devoir international de promouvoir et de garantir la participation du public aux décisions environnementales, la paysannerie – comme nous l’avons vu dans la première partie du texte – nécessite une approche différenciée qui reconnaisse ses contributions à la protection de la nature. Cette approche permet également de combler les lacunes importantes en matière d’inégalité et de violence qui empêchent la jouissance effective de leurs droits. En outre, la participation de la paysannerie implique de commencer à démanteler les multiples barrières structurelles qui l’empêchent souvent de participer à la vie politique. La Convention sur la diversité biologique exige cette approche différentielle exclusivement pour les questions régies par l’article 8(j), c’est-à-dire pour la protection et la promotion des connaissances traditionnelles12.

Cependant, l’accord d’Escazú et l’accord d’Aarhus exigent que le droit à la participation soit garanti en fonction des conditions spécifiques des populations affectées et intéressées par les décisions environnementales13. Ainsi, une approche différentielle peut être dérivée pour les paysans dans la garantie de leur droit à la participation. Pour préciser cette mesure, l’UNDROP et l’Observation générale 26 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sont utiles.

Le droit à la participation est défini de manière transversale dans l’éventail des droits de l’UNDROP. Il oblige les Etats à consulter, à coopérer de bonne foi et à promouvoir l’inclusion des paysans dans les processus de prise de décision qui peuvent les affecter, à prendre en compte leurs considérations et leur soutien (article 2.3). Selon l’UNDROP, ce droit doit être garanti à différents niveaux et instances de prise de décision qui les concernent : conclusion d’accords internationaux, réglementations internes, politiques, programmes, projets et mesures concrètes, comme le montre le tableau 3.

Tableau 3. Mentions du droit à la participation des paysans dans l’UNDROP

Article 2.3Consultation et coopération de bonne foi pour toute mesure les concernant, y compris la conclusion d’accords internationaux, avec une participation « active, libre, effective, significative et informée ».
Article 5. 1, 2(b)Droit de participer à la gestion des ressources naturelles, et le droit à une consultation de bonne foi pour les exploitations ayant un impact sur l’environnement.
Article 10Le droit de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques, des programmes et des projets, ainsi que la promotion de cette participation.
Article 11.2Accès à l’information pour une participation efficace.
Article 14Participation aux examens de santé et de sécurité au travail.
Article 15Droit de participer aux politiques agroalimentaires.
Article 19. 1(b and c), 7.Le droit de participer au partage équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques, aux décisions relatives à leur conservation et à leur utilisation durable, et à la définition des priorités en matière de recherche et de développement.

Pour sa part, l’Observation générale 26 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels fournit des critères d’interprétation sur la garantie du droit à la terre. Il propose des règles sur le droit à la participation qui peuvent être résumées en trois points. Premièrement, la participation des paysans doit être décisionnelle, c’est-à-dire toute décision susceptible d’avoir un impact sur l’utilisation et la tenure des terres pour les communautés paysannes doit bénéficier de la participation libre et effective de ces communautés (para. 20) ; deuxièmement, pour que cette participation réponde aux normes des droits de l’homme, il est essentiel que toutes les parties impliquées dans le processus décisionnel aient accès à des informations suffisantes et transparentes, dans des conditions d’égalité (paragraphe 20) ; et troisièmement, dans le cas où les décisions environnementales impliquent le déplacement de communautés paysannes, avant de procéder à une expulsion ou à un changement d’utilisation des terres qui pourrait laisser les communautés paysannes sans accès à leurs ressources productives, l’État doit garantir un processus de consultation afin d’explorer toutes les alternatives possibles (paragraphe 24).

Aujourd’hui, dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, il existe au moins deux scénarios qui nécessiteraient la garantie de ce droit à la participation environnementale avec une approche différentielle pour les paysans : la Conférence des Parties (l’organe décisionnel le plus élevé du traité) et l’élaboration de stratégies et de plans d’action.

Comme nous l’avons vu dans la deuxième partie, les stratégies et les plans d’action en faveur de la biodiversité sont les instruments de mise en œuvre mandatés par la CDB. Ils présentent les mécanismes et la doctrine de changement que chaque État adopte pour s’acquitter de ses obligations. Par conséquent, et conformément aux normes discutées ci-dessus, la participation des paysans aux différentes étapes de l’élaboration et de la mise en œuvre de ces instruments doit être garantie.

Or, la CDB n’établit pas dans ses articles de mécanisme spécial pour la participation des « peuples autochtones et des communautés locales ». Mais les questions discutées et décidées dans le cadre du traité – au-delà des connaissances traditionnelles – sont susceptibles d’affecter ces sujets et, par conséquent, selon les normes examinées dans cette partie, la Conférence des Parties doit les inclure dans ses procédures. Pour répondre à ce besoin, cet organe a créé un groupe de travail intersessions ad hoc à composition non limitée sur l’article 8(j) et les dispositions connexes lors de la COP4 à Bratislava en 199814. Sa fonction est de fournir des recommandations à la Convention sur les questions impliquant les peuples autochtones et les communautés locales, ainsi que d’évaluer les progrès de la mise en œuvre du traité dans les pays qui y sont parties. Ainsi, cet espace serait le mécanisme garantissant le droit à la participation des paysans, où les États devraient promouvoir l’inclusion de leurs représentants.

Conclusion

Dans cet article, nous avons soutenu qu’il est nécessaire de reconnaître l’aspect environnemental de la paysannerie afin d’aborder les inégalités et la violence qui empêchent les paysans de vivre pleinement et de maintenir leur mode de vie. Nous montrons comment ce concept trouve son soutien dans l’esprit herméneutique de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), ainsi que dans plusieurs de ses articles qui visent à fournir des outils pour gérer les défis environnementaux et les conflits qui affligent les populations paysannes dans le monde entier.

Dans cette optique, nous avons identifié trois voies pour la reconnaissance de la dimension environnementale des paysans dans le droit international, en prenant l’exemple de la Convention sur la diversité biologique. La première est subjective, car elle implique la reconnaissance des paysans en tant que sujets de droits dans le traité, soit par le biais de l’interprétation – en les comprenant comme des « communautés locales » – soit par la modification directe des articles de la Convention. La seconde est substantielle, dans le sens où elle cherche à incorporer l’ensemble des droits des paysans dans les obligations contraignantes de la Convention, en recherchant une cohérence conceptuelle et des instruments où ils peuvent être incorporés par le biais d’une interprétation interne par les États (les stratégies et plans d’action sur la biodiversité, dans le cas spécifique de la CDB). Enfin, la troisième voie est procédurale, car elle demande une étape supplémentaire dans la prise de décision environnementale : la participation paysanne. Selon notre argumentation, cela implique que les Etats adoptent des mécanismes différentiels pour les inclure à la fois dans l’élaboration des Stratégies et Plans requis par le traité, ainsi que dans le scénario de participation des « peuples autochtones et des communautés locales » que la CDB envisage.

Cette triple approche peut être utile pour obtenir la reconnaissance de la composante environnementale de la paysannerie dans d’autres traités internationaux sur le droit de l’environnement. Nous espérons que notre argumentation pourra être utilisée pour formuler des stratégies d’action par le mouvement paysan international et les organisations alliées afin d’assurer leur inclusion.


  1. En los numerales 2, 3 y 4 del artículo 1, la Declaración se asegura de incluir a sujetos que ejercen actividades conexas a la agricultura, a pueblos indígenas, y a los trabajadores sin tierra. ↩︎
  2. Ver los artículos 8(j) y 10(c) de la Convención sobre Diversidad Biológica. ↩︎
  3. De acuerdo con el doceavo considerando del Preámbulo de la CDB. ↩︎
  4. Ver UNEP/CBD/WG8J/7/8/Add.1*. ↩︎
  5. Es cierto que algunos de dichos criterios no se corresponden necesariamente con los modos de vida campesino, como el “escaso concepto de derechos de propiedad” (criterio x); pero el Grupo 8(j) no establece ningún orden de prioridad ni exhaustividad en el cumplimiento de los criterios para definir a las “comunidades locales”; más allá de considerar que la autoidentificación “debe ser esencial y fundamental”. ↩︎
  6. Desde la COP14 de Sharm el-Sheikh, en 2018. ↩︎
  7. Ver la Decisión XII/12 F de la COP12 de 2014, en Pyongyang. ↩︎
  8. Ver la Decisión XI/14 G de la COP11 de 2012, en Hyderabad. ↩︎
  9. Las áreas protegidas son una medida que ha entrado en tensión históricamente con los derechos de tenencia y uso del campesinado, en todo el mundo (Brockington, Duffy & Igoe, 2008). Sin embargo, y como ha sido reconocido por las Conferencias de las Partes de la Convención, para una adecuada protección y manejo de la biodiversidad se hace necesario enfoques que armonicen los objetivos de conservación de las áreas con los modos de vida de quienes las ocupan. Por ello, desde las decisiones de la COP de la CDB y desde el Grupo de Trabajo sobre el Artículo 8(j), se ha recomendado constantemente que la adopción de sistemas de áreas protegidas cuente con la participación de los pueblos indígenas y comunidades locales de quienes son afectadas por ellas. Especialmente, desde las decisiones de la COP9 y la COP10, que dieron lugar a las “Directrices para buenas prácticas en áreas protegidas de la UICN-CAMP, sobre Gobernanza en Áreas Protegidas”. ↩︎
  10. En el marco de la Convención sobre Diversidad Biológica se han adoptado planes estratégicos dos veces, para guiar la implementación del tratado. ↩︎
  11. Ver Decisión CBD/COP/15/L.25 de la COP15 en Montreal. ↩︎
  12. Según el artículo 8(j) de la Convención, las decisiones sobre conocimientos tradicionales deben “contar con la aprobación y la participación de quienes posean esos conocimientos, innovaciones y prácticas”. ↩︎
  13. Ver en los numerales 13 y 14 del artículo 7 del Acuerdo de Escazú, y en los artículos 6, 7 y 8 del Convenio de Aarhus. ↩︎
  14. Ver la Decisión IV/9 de la COP4. ↩︎

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