Victoire historique pour les paysan.ne.s kenyans et la souveraineté semencière
Note de l’éditeur: Une nouvelle jurisprudence marque un jalon historique pour les droits des paysans et le droit aux semences au Kenya ainsi qu’à l’échelle internationale. Dans une décision sans précédent, la Haute Cour a réaffirmé que les droits protégés par la Constitution doivent être interprétés à la lumière de cadres internationaux tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), laquelle reconnaît explicitement, dans son article 19, le droit de conserver, d’échanger, d’utiliser et de vendre ses propres semences comme un élément essentiel de l’autonomie paysanne et des systèmes alimentaires durables. Cet arrêt ne redéfinit pas seulement la portée de la législation nationale sur les semences, il consacre également l’UNDROP comme une référence juridique dans la protection des connaissances traditionnelles, de la biodiversité agricole et de la souveraineté alimentaire. Ce faisant, il ouvre un nouveau précédent qui renforce la justiciabilité des droits des paysans.
Le 27 novembre 2025, la Haute Cour du Kenya à Machakos a rendu une décision très attendue dans le cadre d’une contestation constitutionnelle de la Loi sur les semences et les variétés végétales intentée par des paysan.ne.s. La Cour a donné raison aux requérants sur tous les points, annulant plusieurs sections de la loi et de ses règlements.
Comme indiqué précédemment dans le site web Défendre les droits des paysan.ne.s, le recours constitutionnel contre la Loi sur les semences et les variétés végétales a été déposé en 2022 par quinze paysan.ne.s du Seeds Savers Network contre l’agence gouvernementale chargée de l’application de la loi.
Révisée en 2012, la loi kenyane sur les semences et les variétés végétales est une loi draconienne qui interdit aux paysan.ne.s de conserver, partager, échanger et vendre des semences sous peine de sanctions pénales. Dans sa décision, la juge a déclaré que plusieurs dispositions de la loi étaient contraires à la Constitution du Kenya, au Traité sur les ressources phytogénétiques de la FAO et à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP). La juge a estimé que la Constitution devait être interprétée à la lumière de l’article 9 du Traité sur les ressources phytogénétiques et de l’article 19 de l’UNDROP, et que le Kenya était tenu de respecter ses obligations en vertu du droit international en général et des droits humains en particulier.
Plus précisément, le juge a invalidé la section de la loi qui donne aux inspecteurs qui ont des raisons de croire qu’une infraction a été commise le pouvoir de saisir et de détruire des semences. Le juge a statué que cela violait le droit des paysan.ne.s à la vie privée, au respect de leur domicile et à la protection de leurs biens, tel qu’il est inscrit dans la Constitution. La juge a fait remarquer que l’absence de définition de l’expression « motifs raisonnables » et de mécanisme de contrôle indépendant pouvait conduire à des abus et à des décisions arbitraires.
Il est important de noter que la juge a déclaré que plusieurs dispositions de la loi sont inconstitutionnelles car elles portent atteinte au droit des paysan.ne.s de conserver, d’utiliser, de partager, d’échanger et de vendre des semences conservées à la ferme. Ces dispositions criminalisent la vente de semences, sauf s’il s’agit de semences certifiées vendues par des commerçants enregistrés, et limitent les droits des paysan.ne.s sur leurs récoltes issues de variétés protégées.
La juge a estimé qu’en restreignant le droit de conserver, partager et échanger des semences, ces dispositions sont contraires à la Constitution, qui affirme que l’État doit reconnaître le rôle de la science et des technologies autochtones, ainsi et doit également reconnaître et protéger la propriété des semences et variétés végétales autochtones, leurs caractéristiques diverses et leur utilisation par les communautés du Kenya. Compte tenu de l’importante contribution des paysan.ne.s à la production alimentaire, la juge a considéré que ces dispositions violaient également le droit à l’alimentation garanti par la Constitution et l’obligation du Kenya de prendre des mesures législatives, politiques et autres pour assurer sa réalisation progressive. Enfin, la juge a également estimé que les frais d’enregistrement exorbitantset et les exigences d’enregistrement strictes constituaient une discrimination indirecte à l’égard des paysan.ne.s.
En ce qui concerne le droit à la participation, la juge a observé que bon nombre des questions soulevées dans la requête auraient pu être évitées si le gouvernement avait garanti le droit à une participation pleine et équitable des paysan.ne.s, des parties intéressées et du public au processus d’élaboration de la loi. La juge a enjoint au gouvernement de garantir le droit à la participation lors du processus de modification de la loi pour la rendre conforme au jugement.
On ne sait pas encore si le gouvernement kenyan fera appel de cette décision. Quoi qu’il en soit, cette décision judiciaire change la donne pour des millions de paysan.ne.s kenyans et crée un précédent important à l’échelle mondiale pour les droits consacrés dans l’UNDROP, en particulier le droit aux semences.
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Arrêt de la Haute Cour du Kenya, bientôt disponible ici :
https://new.kenyalaw.org/judgments/KEHC/HCMKS/2025/
Constitution du Kenya – en particulier les articles 11, 21(2) et 43(1) :
https://kenyalaw.org/kl/fileadmin/pdfdownloads/TheConstitutionOfKenya.pdf
Loi kenyane sur les semences et les variétés végétales :
https://upovlex.upov.int/en/legislation/text/506145
