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Conseil des droits de l’homme : Conférence sur les bonnes pratiques, les leçons apprises et les défis de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·nes

Le 30 juin 2022, dans le cadre de la 50e session du Conseil des droits de l’homme, un important évènement parallèle sur les droits des paysans s’est tenu à la villa Moynier, un lieu historique au cœur de Genève, devenu aujourd’hui le siège de la Geneva Academy of International Humanitarian Law and Human Rights.

Les Missions Permanentes de Bolivie, d’Afrique du Sud et du Luxembourg auprès des Nations Unies, le ministère des Affaires étrangères de Suisse et le Haut-commissariat des Nations Unies, ont organisé cet évènement avec la Via Campesina, le CETIM, Fian International, la Geneva Academy ainsi que le South Centre. Un spectre très large et représentatif d’organisations et d’entités, montrant l’importance que cette question clé joue dans le système des droits humains.

Le Dr Christophe Golay de la Geneva Academy a ouvert la discussion en rappelant que l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (la Déclaration) en 2018 par l’Assemblée générale des Nations Unies est une étape historique dans la promotion et protection des droits humains des paysan·nes et des autres personnes vivant dans les zones rurales en ce qu’ils et elles sont les principales victimes de la pauvreté, de la faim, des inégalités et du changement climatique.

S.E. Maira Macdonal, Ambassadrice de l’État Plurinational de Bolivie auprès des Nations Unies à Genève, a modéré cette conférence. Dans son introduction, l’Ambassadrice Macdonal a mentionné l’importance de co-organiser cet évènement avec des pays qui ont joué un rôle fondamental dans l’élaboration de la Déclaration, à savoir l’Afrique du Sud, qui était membre du core-group qui a promu l’adoption de la Déclaration, ainsi que le Luxembourg et la Suisse qui, avec le Portugal, sont les seuls États occidentaux à avoir voté en faveur de la Déclaration.

L’Ambassadrice de Bolivie a fait remarquer qu’aujourd’hui, alors que nous entrons dans la phase de mise en œuvre de la Déclaration, nous sommes confronté·es à de nouveaux défis que nous devons affronter collectivement. Suite à son introduction, Freddy Mamani, Vice-ministre des affaires étrangères de Bolivie, participant à l’évènement via zoom, a réaffirmé l’engagement de la Bolivie dans la lutte paysanne et a appelé à renforcer les droits des paysan·nes. Freddy Mamani a souligné que le cadre normatif fourni par la Déclaration, parmi les nombreux développements progressifs qu’il pourrait favoriser, est essentiel pour répondre à la crise alimentaire actuelle.

Après Freddy Mamani, S.E. Mxolisi Nkosi, Ambassadeur de la Mission permanente de l’Afrique du Sud auprès de l’ONU à Genève, a pris la parole. Il a commencé par souligner l’importance d’associer la mise en œuvre des droits des paysan·nes avec celle du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et de la Déclaration sur le droit au développement. L’ambassadeur Nkosi a souligné que 43% de la population sud-africaine vit dans les zones rurales qui abritent certaines des communautés les plus pauvres du pays. Il a poursuivi en disant que « la situation des communautés rurales nous rappelle constamment les conséquences de l’apartheid et du colonialisme ». C’est pourquoi l’Afrique du Sud considère que la Déclaration est un instrument clé afin d’assurer que les zones rurales cessent d’être de constantes réserves de main-d’œuvre bon marché. Le gouvernement doit continuer à combattre le chômage et l’accès inéquitable à la terre dans les zones rurales, a-t-il ajouté.

S.E. Marc Bichler, Ambassadeur du Luxembourg auprès des Nations Unies à Genève, a dépeint l’adoption de la Déclaration comme le résultat d’une collaboration réussie entre la société civile et les États. Il a rappelé aux participant·es qu’au tout début du processus, le Luxembourg et le Portugal étaient les seuls États parmi les Pays du Nord à soutenir l’élaboration de la Déclaration. L’ambassadeur Bichler a énuméré les quatre raisons qui expliquent pourquoi son pays a soutenu l’adoption de la Déclaration et pourquoi il continuera de soutenir sa mise en œuvre : 1) il s’agissait d’une requête et d’un besoin soulevé par la société civile ; 2) c’était l’occasion de mettre dans un même document tous les droits des paysan·nes (déjà reconnus) et de les adapter aux besoins des communautés rurales ; 3) c’était conforme à la coopération au développement du Luxembourg ; 4) aujourd’hui, à ces trois arguments encore valables s’ajoute l’augmentation de la vulnérabilité des paysan·nes depuis 2018.

Le professeur Michael Fakhri, Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, est intervenu par vidéo-conférence. Même si la pandémie de Covid-19 et le conflit entre la Russie et l’Ukraine ont aggravé la situation, l’augmentation de la faim dans le monde dure depuis au moins huit ans a-t-il expliqué. Il a souligné que la Déclaration nous aide à comprendre nos systèmes alimentaires, en fournissant un cadre utile pour favoriser une coopération multilatérale si nécessaire. Il a aussi décrit la Déclaration comme l’une des avancées juridiques le plus importantes de ces dernières décennies et comme un instrument clé pour bâtir des systèmes alimentaires durables et équitables. Selon lui, il est désormais primordial d’engager le reste des États dans la voie d’une mise en œuvre de la Déclaration.

A sa suite, Mme Fatouma Seid, Directrice adjointe des partenariats et de la collaboration avec les Nations Unies à la FAO, a souligné que nous faisons face à une crise multidimensionnelle. La pandémie ayant frappé le monde entier, les nombreux moyens d’obtenir de la nourriture ont été mis en danger. Elle a rappelé que le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde est en augmentation, avec 811 millions de personnes qui luttent pour trouver de la nourriture, 45 millions qui sont au bord de la famine, alors que 80 % d’entre elles travaillent dans les zones rurales. Elle a aussi mis en exergue les nombreuses données exposant les défis énormes et difficiles auxquels la paysannerie familiale, les femmes et les enfants font face. Elle a également appelé les participant·es à reconnaître que la crise nous a aidés à renforcer et développer la résilience et qu’il est désormais essentiel de partager expériences et bonnes pratiques afin de promouvoir la transformation que nous souhaitons à l’échelle internationale. L’agriculture familiale a un rôle fondamental à jouer pour assurer la gestion durable des ressources naturelles. La Déclaration peut jouer un rôle déterminant à cet égard et devrait être mise en relation avec le plan d’action de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale.

Madame Naéla Gabr, membre du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) a affirmé son soutien à la Déclaration dans un discours. Elle a exprimé sa gratitude face à l’engagement et la bonne volonté des mécanismes onusiens (comme le Rapporteur spécial M.Fakhri), des agences de l’ONU (comme la FAO), des États et des organisations de la société civile dans leurs efforts pour réaliser la mise en œuvre de la Déclaration. Dans son discours, elle a clairement établi des passerelles entre la Déclaration et le travail développé par le Comité (CEDAW). Elle a mentionné, par exemple, l’importance de la recommandation générale n° 34 du Comité, qui est cruciale, car elle vise à mieux promouvoir et protéger les droits des femmes rurales. Elle a ajouté que ce qui s’applique aux femmes rurales pourrait facilement s’appliquer aux hommes ruraux. Elle a également affirmé qu’il est frustrant de voir que des pays puissants donnent des leçons sur les droits humains alors qu’ils n’appuient pas de nouveaux important instruments en la matière (comme la Déclaration).

Mme Morgan Ody, Coordinatrice générale de La Via Campesina, était la dernière panéliste à prendre la parole. Elle a commencé par expliquer que la Déclaration avait été traduite dans de nombreuses langues, ce qui peut être considéré comme un franc succès, et a ajouté que différents types de formation et de travail de communication ont été développés à ce sujet. Pour La Via Campesina, l’objectif principal est désormais de toucher un maximum de paysan·nes à travers le monde afin qu’elles et ils puissent comprendre pleinement la Déclaration et puissent commencer à l’utiliser. Elle a indiqué que la Déclaration avait déjà un impact puissant dans certains pays comme le Népal, la Colombie et le Chili.

Pour Mme Morgan Ody, il est très clair qu’à l’échelle internationale une nouvelle procédure spéciale au Conseil des droits de l’homme qui porterait sur les droits des paysan·nes, sous la forme d’un Groupe de travail d’expert·es ou d’un Rapporteur spécial, est nécessaire pour mettre en œuvre la Déclaration. Ce nouveau mécanisme servirait de mécanisme de suivi de cet outil et permettrait de surveiller la situation dans différents pays et servant d’espace de discussion et d’échange d’idées sur les bonnes pratiques entre États et entre États et organisations de la société civile (en particulier celles représentant les titulaires de ces droits). En conclusion, elle a appelé tous les pays à soutenir les communautés paysannes et à s’engager dans la création de ce nouveau mécanisme de suivi onusien.  

Regardez l’enregistrement de cet évènement ici.

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