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Colombie : Décision de la justice constitutionnelle protège les paysan.nes déplacé.es par les catastrophes naturelles

Dans une décision inédite rendue le 16 avril 2024 (arrêt n°T-123/24), la Cour constitutionnelle colombienne a accordé sa protection à un couple de  paysan.nes âgés contraints de quitter leur terre après des inondations répétées. Cette décision marque un tournant dans la manière dont la justice colombienne aborde les déplacements internes liés aux catastrophes naturelles. Pour cela, elle s’appuie sur l’article 64 de la Constitution, réformé en 2023, qui consacre une protection spécifique à la paysannerie. Cette réforme trouve son origine dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans (UNDROP), dont les principes ont inspiré ce changement constitutionnel.

La décision de la Cour constitutionnelle colombienne constitue une nouvelle jurisprudence qui permet d’avancer dans le processus de protection des droits des paysans au niveau national et qui consolide l’UNDROP comme instrument de référence en la matière.

L’affaire à l’origine de cette décision concerne un couple de personnes âgées,  paysan.nes de Saravena, dans le département d’Arauca, qui vivaient dans leur ferme appelée « El Paraíso ». Après plusieurs inondations causées par le débordement du fleuve Bojabá, leur maison a été rendue inhabitable. Depuis, ils vivent de manière précaire chez leur fils, sans avoir été reconnus comme déplacés internes par les autorités, et sans bénéficier d’aucune aide de l’État colombien. La Cour a estimé que leur droit à une vie digne avait été violé, et que l’État avait l’obligation de leur garantir une protection appropriée.

Pour rendre sa décision, la Cour s’est fondée sur l’article 64 de la Constitution, tel qu’amendé en 2023. Ce texte reconnaît désormais la paysannerie comme un sujet de droits, et impose à l’État de lui accorder une protection spéciale. Il souligne l’importance de la paysannerie dans la construction territoriale, la souveraineté alimentaire et la diversité culturelle. C’est sur cette base que la Cour affirme que les personnes déplacées pour des raisons environnementales, lorsqu’elles sont paysannes, doivent bénéficier d’une protection renforcée.

Même si l’UNDROP n’est pas mentionnée explicitement dans la décision, son influence est manifeste. C’est en effet cette Déclaration qui a servi de référence pour la réforme de l’article 64. L’UNDROP reconnaît des droits spécifiques aux paysan.nes, tels que le droit à la terre, à un environnement sain, à la participation politique.  Elle insiste également sur la nécessité d’un traitement différencié pour les populations rurales en situation de vulnérabilité. Concernant les déplacements forcés, l’UNDROP consacre des dispositions spécifiques pour protéger les paysan.nes contre cette pratique :

Article 12.5 (droit à la justice) : Les États mettront à la disposition des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales des mécanismes efficaces de prévention et de réparation de tout acte ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à leurs droits de l’homme, de les déposséder arbitrairement de leurs terres et de leurs ressources naturelles ou de les priver de leurs moyens de subsistance et de leur intégrité, ainsi que de toute forme de sédentarisation forcée ou de déplacement de population forcé.

Article 17.4 (droit à la terre) : Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit d’être protégés contre tout déplacement arbitraire et illégal les éloignant de leur lieu de résidence habituelle et de leurs terres ou d’autres ressources naturelles qu’ils utilisent dans leurs activités et dont ils ont besoin pour jouir de conditions de vie adéquates. Les États intégreront dans leur législation des mesures de protection contre le déplacement qui soient conformes au droit international des droits de l ’homme et au droit international humanitaire. Les États interdiront l’expulsion forcée arbitraire et illégale, la destruction de zones agricoles et la confiscation ou l ’expropriation de terres et d’autres ressources naturelles, y compris comme mesure punitive ou comme méthode ou moyen de guerre.

Article 24.3 (droit au logement) : Les États ne déplaceront pas arbitrairement ou illégalement de paysans ou d’autres personnes travaillant dans les zones rurales de leur foyer ou des terres qu’ils occupent contre leur gré, que ce soit à titre permanent ou temporaire, sans leur assurer des formes appropriées de protection juridique ou autre, ou l ’accès à celle-ci. Si l’expulsion est inévitable, l’État pourvoira ou veillera à l’indemnisation juste et équitable de toute perte matérielle ou autre.

La décision de la Cour montre ainsi que l’UNDROP peut produire des effets concrets à travers le droit interne. En inspirant la Constitution colombienne, elle a permis de créer un fondement juridique solide sur lequel la Cour peut désormais s’appuyer pour protéger les paysan.nes. Elle a notamment permis d’élargir la notion de déplacement interne à d’autres causes que le conflit armé, en intégrant les impacts des catastrophes naturelles.

Dans sa décision, la Cour appelle également les autorités à élaborer une politique publique spécifique pour répondre aux situations de déplacement environnemental. Elle insiste sur l’importance de prendre en compte les réalités propres aux zones rurales et aux populations paysannes, qui cumulent souvent plusieurs formes de vulnérabilité.

En définitive, la décision T-123/24 ouvre la voie à une application plus large des droits paysans en Colombie. Par l’influence de l’UNDROP – qui a été mobilisée par le mouvement paysan colombien auprès de leurs institutions nationales – les paysan.nes colombien.nes bénéficient désormais d’une reconnaissance accrue de leurs droits, notamment face aux effets du changement climatique et à l’insuffisance des réponses institutionnelles. Cette jurisprudence pourrait ainsi constituer un précédent important pour la consolidation d’une justice sociale et environnementale en milieu rural, dont les systèmes judiciaires d’autres pays membres de l’ONU devraient pouvoir s’inspirer.

Pour plus d’informations sur les droits des paysan.nes en Colombie, vous pouvez consulter notre article sur la reconnaissance des paysan.nes dans la Constitution colombienne.

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