La Déclaration du point de vue des travailleur.euses
Introduction
La Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales est bien souvent abréviée en Déclaration des droits des paysans, pourtant ce serait l’amoindrir que de laisser de côté les autres groupes qu’elle protège. Cet article se propose de se concentrer sur l’un de ces groupes de personnes bénéficiant aussi des droits contenus dans l’UNDROP : les travailleurs et les travailleuses rurales.
L’article 1 de l’UNDROP à son paragraphe quatre définit et reconnaît ce groupe particulier :
« La présente Déclaration s’applique en outre aux travailleurs salariés, y compris à tous les travailleurs migrants, sans considération de leur statut migratoire, et aux travailleurs saisonniers, qui sont employés dans les plantations, les exploitations agricoles, les forêts, les exploitations aquacoles et les entreprises agro-industrielles. ».
On retiendra de cette définition qu’elle donne deux critères pour bénéficier de ces droits : être salarié et travailler dans le cadre d’une activité économique liées à l’agriculture. Il nous semble important de souligner l’inclusion des personnes migrantes ainsi que des travailleur.euses saisonnier.es, deux catégories particulièrement vulnérables.
Les travailleur.euses de l’agriculture protégés par l’UNDROP étant un groupe particulièrement large et divers, leur inclusion pourrait en être questionnée. Mais la Déclaration a justement pour vocation de couvrir toutes les personnes vulnérables partageant la condition de producteurs d’aliments. Or, il n’existe que peu de situations où ces travailleur.euses ne sont pas précaires financièrement et juridiquement, souvent payés au minimum légal avec des contrats précaires, lorsqu’ils et elles bénéficient d’un contrat.
Redonner des droits à ces travailleur.euses est nécessaire pour assurer une transition juste vers des systèmes alimentaires durables pour toutes les personnes qui y contribuent. En effet, comment les transformer sans commencer par reconnaître et protéger ceux et celles qui y contribuent le plus ? L’UNDROP n’est jamais aussi intéressante et puissante que lorsque l’on comprend qu’elle englobe la ruralité et la production alimentaire comme un tout nécessitant une attention et une transformation spécifiques – par les droits humains.
Nous proposons ici une lecture de la Déclaration qui met en évidence les droits les plus importants pour les personnes qui travaillent dans l’agriculture, en mettant l’accent sur les articles 13 et 14, qui s’adressent spécifiquement aux travailleur.euses.
Article 13 : Le droit au travail
Le droit au travail de l’article 13 de l’UNDROP peut se décomposer en deux volets : le premier volet porte sur l’emploi et le second sur la protection des travailleur.euses. L’article 13 commence avec la définition du droit au travail comme la liberté de choisir comment gagner sa vie, c’est à dire son emploi. Cette liberté s’articule avec le droit d’être protégé de l’emploi forcé et de conditions de travail indécentes.
« 1. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales sont titulaires du droit au travail, lequel englobe le droit pour chacun de choisir librement la façon de gagner sa vie. »
Avoir un travail permettant de vivre
La liberté de choisir l’emploi agricole comme moyen de gagner sa vie est une incarnation du but fondamental de la Déclaration : que les personnes travaillant à la production de l’alimentation des peuples puissent continuer à la faire. Mais pour cela il faut qu’il y ait des emplois permettant de vivre, c’est pourquoi les paragraphes 3 et 4 de l’article 13 donnent obligent les États de créer un environnement favorable aux emplois agricoles et de développer des systèmes alimentaires créateurs d’emplois.
L’environnement, dont il est question dans le paragraphe 3, peut être compris de façon extensive comme toutes les circonstances permettant de développer et maintenir des emplois dans la production agricole. Il peut donc s’agir de l’environnement juridique, économique, financier, technique, chaque situation spécifique appelant un environnement lui correspondant. On peut aussi comprendre cette obligation comme le fait de lever des obstacles et de créer des incitations à la création d’emplois ruraux suffisamment rémunérateurs.
Le paragraphe 4 appelle lui à une approche plus globale et profonde, au point qu’elle n’est rendue obligatoire que pour les États « connaissant des niveaux élevés de pauvreté rurale et où les possibilités d’emploi dans d’autres secteurs manquent ». Cette condition ne doit pas être lue comme trop restrictive, d’autant plus que les régions rurales sont dans la plupart des pays parmi les plus pauvres. Cette condition établie, les États sont appelés à « instaurer et promouvoir des systèmes alimentaires durables à intensité de main-d’œuvre suffisante pour contribuer à la création d’emplois décents. ». On notera les spécificités données dans ce paragraphe pour définir ces systèmes alimentaires : durables et avec une intensité de main-d’œuvre. Le but est bien de créer des emplois sur le long terme. Cette durabilité est aussi comprise dans le sens d’une agriculture durable, c’est à dire respectant les cycles naturels, avec une faible intensité en mécanisation et intrants de synthèse, compensée par une plus grande intensité en main-d’œuvre, ce qui peut se rapprocher du modèle agroécologique défendu par La Via Campesina.
Protection contre la contrainte
La seconde composante du droit au travail est le droit d’être protégé d’un travail violant les droits humains des travailleur.euses.
Au paragraphe 2, il est tout d’abord rappelé le droit spécifique des enfants à être protégés contre tout travail pouvant leur nuire. Ce sont les termes de l’article 32§1 de la Convention internationale sur les droits des enfants qui sont repris ici : « tout travail comportant des risques ou susceptible de compromettre leur éducation ou de nuire à leur santé ou à leur développement physique, mental, spirituel, moral ou social. ». Selon l’UNICEF, dans le monde 112 millions d’enfants travaillent dans le secteur agricole.
Cette protection apparaît ensuite pour les adultes au §5 de l’article 13, qui prévoit que les États ont l’obligation d’assurer la bonne application des lois encadrant le travail, entre autres par l’inspection du travail. Cette référence spécifique à l’inspection du travail est directement inspirée de la Convention de l’OIT n°129. L’emploi dans le secteur agricole et agroalimentaire reposant bien souvent sur une main-d’œuvre précaire, soumise à des conditions d’emploi et de travail parfois illégales, seul un contrôle rapproché de la part de l’État et donc un investissement dans les institutions du contrôle du travail peut permettre d’enrayer ces pratiques.
Enfin, le paragraphe 6 traite des cas les plus graves : « Nul ne sera astreint à un travail forcé, servile ou obligatoire, ne sera exposé au risque de devenir victime de la traite des êtres humains ou ne sera maintenu sous une quelconque autre forme d’esclavage contemporain. ». L’agriculture est un secteur économique, nous l’avons dit, qui repose souvent sur une main-d’œuvre précaire et vulnérable, et qui peut donc être exploitée de la pire des façons. Ce droit repose sur l’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le droit au travail tel qu’il est reconnu dans l’UNDROP peut être un levier puissant pour les organisations de défense des droits des travailleur.euses. Il est directement inspiré de normes internationales solidement établies et vient compléter le droit international pour protéger une population spécifiquement vulnérable. L’agriculture est toujours un très large secteur d’emplois salariés, notamment dans l’industrie agro-alimentaire, et l’article 13 concerne donc des millions de personnes dont il est urgent de protéger les droits. De plus, la transformation de ce secteurs vers un modèle durable et compatible avec l’environnement et donc s’éloignant de l’industrie, doit se faire avec les travailleur.euses, en leur reconnaissant toujours plus leurs droits et non contre elles et eux.
Article 14. Droit à un environnement de travail sûr et sain
L’article 14 est le prolongement du droit au travail, il vient encadrer les conditions de ce travail. Avec l’article 13, il garantit un emploi décent, librement choisi et garantissant un niveau de vie suffisant, ne mettant pas mettre en danger les travailleur.euses.
L’article 14 est d’abord une transposition pour le secteur agricole du droit reconnu à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : « de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment: [..] (b) La sécurité et l’hygiène du travail. ». À partir de ce droit, l’article entre en détail dans les protections dont doivent bénéficier les travailleur.euses et les obligations incombant aux États en la matière. L’article 14 est largement inspiré de la Convention de l’OIT n°184 sur la sécurité et la santé dans l’agriculture.
Un droit pour tous les travailleur.euses.
Il est important de souligner que le premier paragraphe de l’article 14 vient repréciser qui sont les bénéficiaires de son contenu : « Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales, y compris les travailleurs temporaires, saisonniers ou migrants ». Comme dans l’article 1 de l’UNDROP, le statut du travailleur.euses. ne fait pas obstacle à la reconnaissance et à la protection de ces droits. C’est d’autant plus important lorsque l’on prend en compte la prévalence de ces travailleur.euses « temporaires, saisonniers ou migrants », y compris sans papiers, dans les emplois les plus dangereux dans l’agriculture.
Des droits pour protéger la santé et la sécurité au travail
Le premier paragraphe de l’article 14 énonce en détails « le droit de travailler dans des conditions qui préservent leur sécurité et leur santé », qui comprend les droits suivants :
- la participation à l’application et l’examen des mesures de sécurité et de santé
- le choix de représentant.es spécifiquement sur le sujet
- la prévention, la réduction et la maîtrise des risques
- l’accès à du matériel de protection
- l’information et la formation en matière de sécurité
Ce paragraphe se termine avec le droit de ne pas subir de violence ou harcèlement, y compris sexuel, et le droit de ne pas subir de représailles en cas de signalement ou refus de travailler dans des conditions dangereuses avérées. Il était particulièrement important de conclure sur ces deux droits. D’abord parce que la violence empêche l’usage et la protection des droits, tout particulièrement les représailles. C’est la violence qui permet l’instauration et la perpétuation de situations risquées et dangereuses pour les travailleur.euses.
Ensuite, la référence aux violences sexuelles et au harcèlement sexuel est à noter. Certains secteurs agricoles emploient spécifiquement une main-d’œuvre féminine, par exemple pour du travail répétitif et délicat de cueillette. Ce travail par nature saisonnier et donc précaire entraîne une plus grande vulnérabilité face aux violences, notamment sexuelles.
Pour répondre et mettre en œuvre ces droits, l’article 14 prévoit un certain nombre d’obligations pour les États à son paragraphe 3. Le paragraphe commence par donner une obligation générale aux États de prendre des mesures adaptées pour garantir la santé et la sécurité. Il prévoit ensuite des moyens spécifiques pour y arriver : principalement la désignation d’autorités compétentes, non seulement pour la mise en œuvre, mais aussi pour le contrôle et la sanction en cas de non application du cadre de protection des travailleur.euses.
La particularité des produits agrochimiques
Dans les risques encourus par les travailleur.euses agricoles, l’article 14 se focalise particulièrement sur ceux liés aux produits chimiques employés dans l’agriculture.
Tout d’abord, les travailleur.euses ont un droit inscrit au paragraphe 2 de « ne pas utiliser des substances dangereuses ou des produits chimiques toxiques, notamment des produits agrochimiques ou des polluants agricoles ou industriels, et de ne pas y être exposés. ». Ce droit est à relier au premier paragraphe qui donne le droit de refuser des conditions de travail dangereuses, les travailleur.euses ayant donc le droit de refuser et de dénoncer l’usage de produits dangereux avérés.
À ce droit se retrouvent attachées des obligations pour les États. C’est le paragraphe 4 de l’article qui les énonce. La première obligation consiste en la prévention des risques, cette prévention pouvant aller jusqu’à la restriction et l’interdiction de certains produits. Les autres obligations accompagnent la vie des produits, de leur fabrication à leur élimination, en passant par leur utilisation. La dernière obligation ne concerne cette fois plus les paysan.nes ou les travailleurs, mais le public en général. Les États ont l’obligation d’éduquer et de sensibiliser le grand public sur les risques que posent ces produits pour la santé et l’environnement, ainsi que sur des solutions de remplacement.
On retrouve ici, avec ce focus sur les produits chimiques, la défense d’une agriculture paysanne fondée sur des pratiques reposant sur des procédés naturels, respectueuse de l’environnement et des personnes.
Conclusion
D’autres articles peuvent être lus en adoptant le point de vue spécifique des travaileur.euses. En faisant une lecture linéaire de la Déclaration, on retrouve alors d’abord des droits civils et politiques, puis des droits économiques et sociaux.
Parmi les premiers, on peut s’attarder sur le paragraphe 2.i de l’article 4, sur les droits des femmes rurales, qui porte sur le droit au travail : « Avoir un emploi décent, jouir de l’égalité de rémunération, bénéficier d’une protection sociale et avoir accès à des activités génératrices de revenus ; ». L’accès des femmes à un travail et à une rémunération à la fois décente et égale à celle des hommes, reste un combat loin d’être achevé.
Ensuite, il nous faut citer les articles 8 sur la liberté de pensée, d’opinion et d’expression et 9 sur la liberté d’association. Ces droits ont directement trait aux libertés syndicales, qui sont particulièrement importantes pour l’organisation de la défense des droits des travailleur.euses.
En ce qui concerne les droits économiques et sociaux beaucoup revêtent une grande importance pour les travailleur.euses. Par exemple, le droit à la sécurité sociale (art. 22), droit qui englobe la prise en charge des accidents du travail, la perte d’emploi et la retraite. Mais aussi le droit à la santé (art. 23) qui est intrinsèquement lié au droit à un environnement de travail sain et à la prise en charge de la santé liée au travail.
Les droits à l’alimentation (art.15), au logement (art. 24) et à l’eau et à l’assainissement (art. 21), qui sont des droits remplissant des besoins fondamentaux, sont souvent bafoués par les employeurs des travailleur.euses agricoles. Les travailleur.euses agricoles, notamment saisonniers, dépendent parfois entièrement de leurs employeurs pour remplir ces besoins et donc pour le respect de ces droits. Les articles qui leurs sont consacrés dans l’UNDROP reprennent des droits déjà reconnus internationalement et les adaptent aux conditions spécifiques des travailleur.euses ruraux.
Tous les articles de la Déclaration mentionnent toujours les paysan.nes et les personnes travaillant dans les zones rurales, tous ces droits sont donc aussi ceux des travailleur.euses. Le modèle du paysan.ne travaillant sa terre seul, ou en famille, n’est pas le seul prévalant dans les campagnes et l’objet de la Déclaration n’est pas de le rendre hégémonique. Les travailleur.euses agricoles sont présents tout au long des chaînes de production alimentaire, ils et elles sont un maillon indispensable de leur transformation. Leur assurer plus de droits grâce à l’UNDROP, c’est ainsi permettre une transformation de l’intérieur, vers de nouvelles formes de travail au service de l’alimentation des populations et de la dignité au travail.