|

L’accès à la terre pour les jeunes dans le canton de Genève: Obstacles et voies d’accès

Dans cet article, Sonja Muriel Plüss analyse les obstacles sociaux, juridiques et économiques à l’accès à la terre pour les jeunes dans le canton de Genève, en Suisse. L’article défend l’idée que l’actuel système socio-économique et juridique suisse de l’agriculture familiale est organisé d’une manière qui, non seulement entrave significativement l’accès à la terre pour les jeunes, mais contribue également à la disparition de la paysannerie suisse. Cet article met en lumière les multiples obstacles interconnectés à l’accès collectif et individuel à la terre à Genève, puis propose d’autres voies pour un système d’agriculture familiale suisse plus inclusif, diversifié et résilient et ce à l’aune de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·nes (UNDROP).

Introduction

Le préambule de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) exprime la préoccupation des jeunes qui quittent l’agriculture et les zones rurales en raison du manque d’opportunités et des conditions pénibles du travail agricole. Garantir l’accès à la terre est l’une des stratégies permettant de faciliter, ou de préserver, l’engagement des jeunes dans des carrières agricoles. Suivant une approche fondée sur les droits humains, l’UNDROP fait référence au droit d’avoir accès aux terres et aux ressources naturelles, de les utiliser et de les gérer de manière durable dans ses articles 5 et 17 (Nations Unies 2018). Garantir un accès continu et généralisé à la terre pour les nouvelles générations d’agriculteur·rices est crucial pour le maintien d’une agriculture paysanne, elle-même fondamentale pour la souveraineté alimentaire des communautés. L’importance, mais aussi les défis, de l’accès à la terre pour les jeunes ont été principalement discutés dans le contexte des régions où les moyens de subsistance d’un pourcentage élevé de la population dépendent de l’agriculture à petite échelle, avec un accent particulier sur l’Afrique subsaharienne (voir par exemple Gichimu et Njeru 2014 ; Kosec et al. 2018 ; Yeboah et al. 2019 ; White 2019).

Cependant, dans le canton de Genève en Suisse aussi, l’accès à la terre pour les jeunes aspirant à s’engager dans la production agricole, surtout pour ceux qui n’héritent pas d’une ferme, est un défi. En parallèle de cela, environ la moitié des agriculteurs actuels en Suisse arrivent à la retraite dans la décennie (OFS 2021a). L’explication de cette situation apparemment paradoxale de l’indisponibilité des exploitations agricoles pour les jeunes malgré le taux élevé de départs à la retraite réside dans les obstacles financiers, juridiques et sociaux à l’accès des jeunes à la terre. Une explication de ces barrières est suivie d’une esquisse des solutions mises en place à Genève pour réduire ces barrières et d’une réflexion sur leurs implications pour le développement de l’agriculture suisse.

Notre analyse se base sur les discussions d’une table ronde sur l’accès à la terre lors d’un événement à Genève organisé par les Artisans de la Transition (17 novembre 2021) et sur des entretiens semi-guidés. Les entretiens ont été réalisés, en premier lieu, avec des jeunes engagés dans l’agriculture dans le canton de Genève, principalement de La Touvière, puis avec Valentina Hemmeler Maïga, la directrice générale de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature, qui est un acteur déterminant dans la promotion de l’accès à la terre pour les jeunes à Genève, et, troisièmement, Johanna Huber, une doctorante qui étudie l’accès à la terre en Suisse. D’autres informations ont été recueillies par le biais d’un échange de courriels avec deux salariés de l’Association des Petits Paysans (Kleinbauern-Vereinigung) au sujet de leur programme sur la succession extrafamiliale des exploitations agricoles. Ces données sont complétées par une lecture critique des lois agricoles suisses d’une part, et de la littérature en sciences sociales sur les agriculteurs suisses et le développement agricole d’autre part.

Obstacles à l’accès aux terres agricoles pour les jeunes (aspirants) agriculteurs

En Suisse, pour que les activités soient officiellement reconnues comme agricoles et puissent bénéficier des paiements directs de l’État, un agriculteur, une famille ou un groupe d’agriculteurs n’a pas seulement besoin de terres, mais d’au moins un membre ayant une formation agricole certifiée, d’un bâtiment comptant comme infrastructure agricole, de machines, et implicitement de l’argent pour financer tous ces éléments. Par conséquent, les obstacles à l’accès aux terres agricoles ne sont qu’une partie des obstacles à la création d’une exploitation agricole. L’obtention d’une formation agricole est accessible et le chemin le plus court ne prend que deux ans. En fait, il y a plus de personnes qui obtiennent la certification pour exploiter une ferme qu’il n’y a de fermes disponibles, ce qui est particulièrement un problème dans le canton de Genève. Genève possède sa propre école d’agronomie, l’HEPIA, qui attire de nombreux jeunes issus de milieux (péri)urbains, non agricoles, qui obtiennent leur diplôme sans perspective d’hériter d’une exploitation, mais qui souhaitent exercer le métier d’agriculteur. L’éducation, mais aussi les machines et les outils agricoles de base sont facilement accessibles, c’est pourquoi cette recherche se concentre sur les contraintes liées à la terre et, dans une moindre mesure, aux infrastructures agricoles telles que les bâtiments d’exploitation, en tant qu’obstacles à l’exercice de la profession agricole. Ces contraintes sont de nature sociale, juridique et économique.

Contraintes sociales : La terre pour son propre sang

Les contraintes sociales d’accès à la terre sont principalement liées à la logique dominante de l’agriculture familiale et aux structures patrimoniales qui lui sont associées. Pour comprendre les logiques sociales de l’agriculture, la compréhension des modèles de patrimoine est cruciale (Augustins 1989). En effet, la préservation de la ferme et de l’identité familiale qui y est liée pour l’héritage est l’une des principales motivations des agriculteurs en Suisse pour exercer leur métier même dans des circonstances de santé et financières difficiles (Droz 2017 ; Forney et Droz 2018, 66). Les facteurs sociaux ajoutent une dimension de genre à l’accès à la terre en Suisse. Historiquement, les filles et les épouses sont désavantagées dans les questions liées à l’exploitation agricole, y compris la succession (Droz et al. 2014 ; Contzen 2004).

Plusieurs aspects sociaux compliquent la transmission d’une exploitation agricole. L’identité des agriculteurs étant généralement profondément liée à l’exploitation, le processus de succession de l’exploitation est émotionnel et souvent pas abordé relativement tard (Häberli 2021, 58). Les agriculteurs qui prennent leur retraite, ou les couples et familles d’agriculteurs, se retrouvent soudainement dépassés par toutes les décisions liées à la transmission d’une exploitation. Souvent, la ferme n’est pas conçue pour accueillir deux unités familiales. Cela pose des difficultés pour faire de la place aux nouvelles générations, car la génération plus âgée souhaite généralement continuer à vivre à la ferme. Non seulement ils sont liés à la ferme, mais le manque d’épargne et de pension des agriculteurs qui prennent leur retraite complique la location d’un lieu de vie (Rossier et Felber 2007, 245). En outre, les valeurs et les idées divergentes sur la façon de gérer la ferme entre les générations sont une source de conflit (Häberli 2021, 61). Des concessions financières ainsi que des concessions liées aux valeurs sont faites pour préserver le patrimoine et transmettre la ferme à un enfant (Forney et Droz 2018, 50). Cependant, en cas d’absence de successeur au sein de la famille, faire de telles concessions devient plus difficile. Dans ce cas, les solutions la plus simple pour les agriculteurs qui prennent leur retraite est de vendre ou louer les terres et de garder les bâtiments pour y vivre, ce qui conduit à la disparition d’une entité complète d’exploitation.

Le cas de La Touvière illustre bien de cette dynamique. L’agriculteur retraité loue l’exploitation à un groupe motivé de jeunes agriculteurs dans le cadre d’un contrat de 20 ans. Au départ, son fils avait repris l’exploitation mais n’y prenait pas suffisamment de plaisir pour continuer. Désireux de pérenniser l’exploitation et aimant le projet d’agriculture sociale et écologique du groupe en tant qu’agriculteur biologique lui-même, il a soutenu le jeune groupe dans son installation. Cependant, il continue à vivre dans la maison d’habitation de la ferme, ce qui oblige les jeunes agriculteurs à vivre ailleurs, ce qui pose des contraintes financières mais aussi organisationnelles pour eux et pour l’entreprise agricole. De plus, l’exploitation étant en location, il existe une incertitude sur l’avenir à moyen terme, si l’un des petits-enfants du propriétaire souhaite reprendre l’exploitation, ce que le propriétaire espère, alors le groupe actuel devra repartir.

De nombreux jeunes agriculteurs en herbe, comme ceux de La Touvière, recherchent de plus en plus des formes d’organisation autres que celle de l’agriculture familiale. Souhaitant plus d’indépendance vis-à-vis de l’exploitation et une charge financière moindre à supporter par un individu, ils visent à travailler en collectif. Il s’agit d’une rupture claire avec le modèle d’agriculture familiale helvétique bien ancré (voir par exemple Forney et Droz 2018, 51). L’ethos paysan typique comprend non seulement une forte logique d’héritage familial, mais aussi une image de l’agriculteur comme entrepreneur indépendant (Droz 2001). Les chocs de valeurs dans les modèles d’organisation d’une exploitation agricole entravent d’autant plus les succession agricole.

Si le système de l’héritage et de l’exploitation familiale dans l’agriculture suisse facilite la reprise de l’exploitation par un enfant de la famille, il limite l’exercice de la profession d’agriculteur par d’autres enfants et par des personnes extérieures à la famille, notamment s’ils recherchent d’autres modèles d’organisation que l’agriculture familiale.

Contraintes juridiques : Consolider l’agriculture familiale

Trois lois principales régissent les terres agricoles en Suisse, visant à préserver les terres agricoles de la disparition, à favoriser les entreprises agricoles familiales et à éviter la spéculation sur les terres agricoles. La première loi est la loi sur l’aménagement du territoire, dont la version initiale date de 1979 et qui a conduit à une différenciation claire des zones sur les plans d’urbanisme, notamment pour protéger les terres destinées à la production agricole et à la sécurité alimentaire contre le mitage du territoire. Dans les zones agricoles délimitées, les possibilités de nouvelles constructions sont strictement limitées. Les terrains et les infrastructures situés dans les zones agricoles sont régis par deux autres lois, à savoir la Loi fédérale sur le droit foncier rural (loi sur les terres agricoles/paysannes), adoptée en 1991 et révisée en 2014, et la Loi fédérale sur le bail à ferme agricole, adoptée en 1985 et révisée en 2014. Ces lois prescrivent que seules les personnes ayant une formation agricole certifiée peuvent posséder ou louer des fermes et des terres agricoles afin de garantir leur utilisation à des fins agricoles, préservant ainsi les terres agricoles.

Les lois favorisent la transition des infrastructures et des terres agricoles au sein de la famille, et en cas de manque d’intérêt au sein de la famille, leur location à des agriculteurs voisins. Lorsque l’exploitation est vendue à un membre de la famille, la loi sur les terres agricoles/paysannes prévoit qu’elle peut l’être sous la valeur de rendement (art. 17). Les personnes extérieures à la famille, en revanche, sont tenues de payer la valeur marchande, qui est environ deux fois et demie plus élevée (Droz et Forney 2007, 56). Il en résulte que très peu de terres et encore moins d’exploitations deviennent disponibles et financièrement accessibles pour les aspirants agriculteurs qui n’ont pas hérité de ces infrastructures.

Les lois imposent des contraintes aux modes d’exploitation agricole plus collectifs. Premièrement, si un groupe de personnes souhaite cultiver ensemble, il ne peut pas le faire en tant que collectif ou association, mais doit former une société privée à responsabilité limitée et désigner un membre ayant une formation agricole pour être l’agriculteur principal afin de recevoir les paiements directs conditionnels, une forme cruciale de subventions pour l’agriculture, par l’État. C’est ce qu’a fait le groupe de La Touvière. Deuxièmement, chaque ferme n’est autorisée à accueillir qu’une seule entreprise. À une époque où les espaces de coworking sont courants dans les bureaux, il n’en va pas de même pour l’agriculture. Valentina Hemmeler Maïga a mentionné qu’il existe de nombreux bâtiments vides dans des fermes existantes, également à Genève, qui pourraient être utilisés pour accueillir des agriculteurs qui ont peut-être des terres mais pas de bâtiment. De telles utilisations partagées des exploitations agricoles permettraient de réaliser des économies et de rendre le démarrage d’une entreprise agricole plus accessible, mais elles ne sont pas autorisées par la législation actuelle.

Enfin, la législation protège les agriculteurs qui louent des terres. La plupart des agriculteurs qui cessent leur activité et ferment leur entreprise choisissent de louer ou de vendre les terres à des exploitations voisines. Une fois qu’une exploitation est fermée et que ses terres sont dispersées entre plusieurs ecploitations, il devient difficile pour les nouvelles générations de rétablir l’exploitation et de reprendre les terres. Selon Valentina Hemmeler Maïga, les lois actuelles assurent la protection des familles paysannes existantes, mais ne visent pas la création de nouveaux paysan·nes. Les contraintes juridiques et sociales sont étroitement liées aux contraintes économiques d’accès à la terre et aux exploitations agricoles.

Contraintes économiques : Des exploitations plus grandes et moins abordables

Les contraintes économiques à l’accès à la terre sont probablement les contraintes les plus sévères et résultent principalement des maigres revenus que les exploitations agricoles génèrent dans le cadre du système politico-économique suisse actuel. L’agriculture suisse a connu une vague de libéralisation dans les années 1990 qui a conduit à un découplage entre la situation des agriculteurs et le bien-être général de la Suisse. En 2018, le salaire mensuel médian d’une personne suisse s’élevait à 6067 CHF pour les femmes et 6857 CHF pour les hommes, alors que le revenu des travailleurs qualifiés de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche s’élevait à 4657 CHF pour les femmes et 5302 CHF pour les hommes (OFS 2021b), avec des différences significatives entre les régions de montagne et de plaine et malgré des heures de travail nettement plus longues et moins de vacances des travailleurs agricoles. Ce revenu reflète la faible rentabilité et souvent même l’endettement des entreprises agricoles.

Les coûts d’achat d’une ferme, surtout lorsqu’elle n’est pas héritée, sont immenses et peuvent difficilement être couverts par la seule activité agricole (Forney et Droz 2018, 50). Les prêts bancaires exigent des aspirants agriculteurs qu’ils aient la perspective d’exploiter une ferme qui soit rentable. En outre, pour recevoir des prêts bancaires, les exploitations agricoles doivent être officiellement reconnues comme telles. La reconnaissance officielle exige au moins les perspectives de terres, de machines et de bâtiments agricoles, dont l’obtention est un combat en soi pour les aspirants agriculteurs qui n’héritent pas de fermes. Les coûts de la reprise d’une exploitation au sein de la famille sont moindres, mais restent importants. La succession des exploitations dans le système agricole familial helvétique est, en théorie, rendue possible par le capital familial (ibid., 50), mais ce capital familial est de plus en plus absent, voire négatif. Les agriculteurs actuels parviennent souvent à se maintenir à flot jusqu’à leur retraite, mais guère au-delà. Les agriculteurs dépendent alors de l’infrastructure de l’exploitation pour leur retraite. Le manque d’épargne des agriculteurs qui prennent leur retraite limite la vente ou la location de l’exploitation à des prix d’ami ou familiaux inférieurs. La solution la plus simple d’un point de vue économique et juridique pour les agriculteurs qui prennent leur retraite et qui n’ont pas de successeur est de continuer à vivre dans la ferme sans payer de loyer et de louer les terres aux agriculteurs voisins qui cherchent à s’agrandir.

Une autre raison économique de l’indisponibilité des terres agricoles est l’évolution vers des exploitations plus grandes. Les exploitations s’agrandissent en réponse aux pressions du marché qui favorisent les économies d’échelle. Cependant, à mesure que les exploitations s’agrandissent, non seulement le nombre d’exploitations susceptibles d’être reprises diminu, mais celles qui persistent sont encore plus chères pour les nouvelles générations d’agriculteurs en raison de leur taille plus importante, un point souligné par Valentina Hemmeler Maïga et aussi Marie Brault, engagée dans la ferme urbaine Ferme de Budé. Selon l’expérience de Willy Cretegy, agriculteur et politicien dans la commune genevoise de Satigny, ce sont généralement les exploitations déjà les plus grandes et les plus rentables qui reprennent ensuite les terres libérées. De plus, l’expansion des exploitations ainsi que leur mécanisation accrue nécessitent des investissements conduisant souvent à l’endettement et donc à la problématisation de la succession même au sein de la famille (Droz et Forney 2007, 135).

Après la reprise d’une exploitation, d’autres investissements de la nouvelle génération sont nécessaires. Les jeunes agriculteurs cherchent généralement à modifier l’organisation de l’exploitation, à explorer la possibilité d’ouvrir d’autres branches de production ou de passer à l’agriculture biologique. Dans le cas idéal, l’exploitation reprise est déjà proche de la vision de la nouvelle génération. Marie Brault souligne que la recherche d’une exploitation n’est pas seulement compliquée par le problème de l’accès général aux terres et aux infrastructures agricoles, mais aussi par l’inadéquation entre les conditions de la plupart des exploitations disponibles et le type spécifique de terres et d’infrastructures agricoles que les aspirants agriculteurs recherchent. L’association des petits paysan·nes insiste donc sur la nécessité d’une certaine flexibilité de la part des candidats à l’exploitation quant à l’image idéale de ce que devrait être la ferme au moment de la reprise, et d’une certaine flexibilité de la part des agriculteurs qui prennent leur retraite quant à leur vision de ce que devrait être la ferme à l’avenir (Kleinbauern-Vereinigung 2021).

Louer, plutôt qu’acheter une ferme, et réaliser des investissements partiels est la stratégie que poursuivent l’équipe de la Touvière mais aussi les Jardins de Cocagne, l’une des plus anciennes fermes collectives pratiquant l’agriculture contractuelle. La location d’une ferme s’accompagne souvent d’insécurités supplémentaires, surtout si le contrat de location est à durée limitée. Cela complique les investissements à long terme, comme la plantation d’arbres fruitiers. De plus, si les propriétaires continuent à vivre dans le bâtiment de la ferme, comme c’est le cas à La Touvière, les jeunes agriculteurs doivent payer un logement ailleurs. C’est un problème majeur dans le canton de Genève où le loyer par rapport au revenu d’un agriculteur est énorme.

Valentina Hemmeler Maïga explique comment la situation des jeunes (aspirants) agriculteurs est intrinsèquement liée à celle des agriculteurs qui prennent leur retraite. Autrement dit, il n’y a pas de solution pour les jeunes agriculteurs, s’il n’y a pas de solution pour les agriculteurs qui partent à la retraite. Cependant, comme la situation des agriculteurs qui partent à la retraite est liée à la manière dont ils peuvent économiser tout en continuant à travailler dans la profession, il doit également y avoir une solution pour les agriculteurs actuels. Les agriculteurs doivent pouvoir se maintenir à flot et disposer d’une épargne pour leur retraite afin que la petite agriculture paysanne puisse se maintenir en Suisse.

Une mosaïque de parcours d’accès à la terre pour les jeunes à Genève

À Genève, plus que dans les autres cantons suisses, le problème de l’accès à la terre pour les jeunes est reconnu et a donné lieu à un ensemble de stratégies individuelles, mais aussi de la part des administrations. Les stratégies individuelles des jeunes agriculteurs pour démarrer une entreprise agricole comprennent généralement la location de terres et l’investissement partiel dans l’exploitation, plutôt que l’achat. Le crowdfunding a également été utilisé pour démarrer l’entreprise. D’autres squattent temporairement de petites parcelles de terrain inutilisées, comme l’a fait le Collectif Terre Libre avant sa fermeture en 2020, ou produisent sur des terrains urbains non agricoles, comme la Ferme des Vergers dans l’agro-éco-quartier de Meyrin. Ces stratégies entraînent leur lot d’insécurités et de contraintes, comme l’impossibilité d’être reconnu comme une ferme officielle et de recevoir les paiements directs de la Fédération.

L’administration de l’office cantonal de l’agriculture et de la nature est motivée pour s’attaquer à la question de l’accès à la terre pour les jeunes. Genève était le seul canton à avoir répondu favorablement à la clause d’amélioration de l’accès à la terre pour les jeunes dans les discussions de la nouvelle politique agraire AP22+, qui a toutefois été suspendue. Le principal document d’orientation pour l’action sur l’accès au foncier à Genève est la loi sur la promotion de l’agriculture à Genève, notamment ses modifications qui ont été votées au parlement en 2021, manifestées par la Loi modifiant la loi sur la promotion de l’agriculture. Hemmeler Maïga, qui a joué un rôle crucial dans la rédaction de ces modifications, a été inspirée et guidée par l’UNDROP. La loi modifiée dispose qu’il est du devoir et de la responsabilité du canton de faciliter l’installation et la reprise d’entreprises agricoles en renforçant l’accès à l’information et au conseil dans le cadre de l’attribution de bâtiments et de terrains agricoles appartenant à l’État (Art. 1d, Art. 8c).

La loi modifiée entérine les actions qui sont déjà en cours dans la pratique, ainsi que la planification de nouvelles actions. Par exemple, depuis deux ans, les terrains cantonaux qui se libèrent doivent être publiés sur Internet afin de permettre à tous un accès égal à l’information. Cependant, sur les 10 000 ha de terres agricoles du canton, seuls 600 ha environ appartiennent à l’État, et à peine plus aux communes. L’administration genevoise encourage donc les communes à suivre la même stratégie afin d’accroître la transparence, et de sensibiliser les agriculteurs qui sont (presque) sur le point de prendre leur retraite à entamer rapidement le processus de succession afin que les exploitations puissent être préservées.

Une grande partie de l’action à Genève consiste à trouver des failles dans la législation fédérale actuelle. Si les jeunes agriculteurs trouvent des terres, mais pas de bâtiment agricole, l’administration cantonale accepte parfois des constructions provisoires telles que des hangars ou des tunnels comme bâtiments agricoles afin que l’exploitation soit officiellement reconnue comme telle. L’administration essaie en outre de donner des autorisations de construire des infrastructures agricoles aux jeunes qui ont un projet d’envergure et à long terme.

Une autre série d’actions menées par Hemmeler Maïga est la mobilisation régionale et nationale sur le thème de l’accès à la terre pour les jeunes. Hemmeler Maïga a initié une rencontre avec tous les offices agricoles de Suisse romande et a constaté que les problématiques étaient partagées dans toute la région. Au début de l’année 2022, Hemmeler Maïga a initié une réunion avec les bureaux agricoles de tous les cantons afin d’échanger sur d’autres stratégies pour améliorer l’accès des jeunes à l’agriculture plus rapidement, tant qu’il n’y a pas de changement dans la législation nationale.

Cependant, Hemmeler Maïga souligne que seuls 10% du pouvoir d’élaboration des politiques agricoles relèvent du canton, et les 90% restants reviennent à la Fédération. Les actions possibles au niveau de l’administration cantonale sont très limitées et des politiques plus radicales pour améliorer la situation des agriculteurs actuels et futurs, comme la fixation des prix des produits alimentaires pour améliorer la viabilité de l’agriculture, doivent venir du législateur national.

Le choix de la Suisse entre un déclin « naturel » de la paysannerie ou une paysannerie florissante grâce à l’accès des jeunes à la terre

L’accès à la terre est un concept dont les implications et les symboles dépassent la disponibilité physique de la terre pour les agriculteurs. Si l’accès à la terre pour l’agriculture, en particulier pour les jeunes, fait l’objet d’une attention particulière, c’est en raison de son rôle crucial dans l’existence durable des petites et moyennes exploitations agricoles qui produisent des aliments variés pour les communautés locales et soutiennent ainsi la souveraineté alimentaire. L’accessibilité des terres détermine si le métier, le mode de vie et le savoir-faire de l’agriculture peuvent persister dans la diversité au fil des générations. Si le développement de l’agriculture suisse se poursuit selon les mêmes tendances, l’agriculture prendra la forme, d’une part, d’un simple hobby, au détriment de la qualité du travail à la ferme (Droz et Forney 2007, 152-53), et, d’autre part, de grandes exploitations mécanisées et industrialisées susceptibles d’être moins durables et moins résistantes financièrement (van der Ploeg 2020). L’accès à la terre n’est pas un problème singulier qui peut être résolu en rendant plus de terres physiquement disponibles, mais pour que l’accès à la terre soit réalisé d’une manière qui permette aux nouvelles générations d’agriculteurs d’en faire un usage durable, il faut des conditions sociales, juridiques et, surtout, économiques favorables.

Avant de discuter de certains changements qui pourraient favoriser l’accès à la terre pour les jeunes sur le plan social, légal et économique, il est crucial de souligner que le problème de l’accès à la terre pour les jeunes en Suisse est à plusieurs égards privilégié. Il existe suffisamment d’opportunités économiques pour les jeunes en dehors de l’agriculture, et les moyens de subsistance globaux ne sont pas profondément dépendants de l’agriculture. Aujourd’hui déjà, les familles paysannes réalisent environ un tiers de leur revenu en dehors des activités agricoles (OFS 2021c). En outre, il n’y a pas d’accaparement de terres, de rachat par des entreprises ou de déplacement forcé, qui sont les menaces les plus imminentes pour l’accès à la terre au niveau mondial. Au contraire, la politique agraire de la Suisse déclenche une mort « naturelle » – c’est l’euphémisme officiel – des exploitations agricoles en encourageant un environnement économique dans lequel les exploitations sont poussées à s’agrandir, à être gérées comme un hobby, ou à disparaître. Les exploitations disparaissent lorsque les agriculteurs prennent leur retraite sans successeur (Droz et Forney 2007, 76). La disparition est lente, mais seulement par rapport à la durée de vie d’un être humain et non dans la perspective d’une histoire plus large.

L’UNDROP peut fonctionner comme un guide pour améliorer l’accès à la terre dans la réalisation du droit à la terre (Golay 2020). Le premier aspect crucial pour le cas suisse est l’absence de discrimination (art.3.3). Cela signifierait la suppression de la discrimination sexiste dans le processus de transmission de l’exploitation agricole au sein de la famille, et notamment la discrimination des aspirants agriculteurs qui n’ont pas la perspective d’un héritage. Après tout, l’UNDROP ne couvre pas seulement les paysan·nes actuels, mais aussi les personnes aspirant à travailler la terre en les incluant dans la définition des paysan·nes (Art 1.1). Un deuxième article de l’UNDROP, pertinent pour le cas suisse, souligne la responsabilité de l’Etat dans la suppression du manque d’accès aux ressources économiques (Art 17.2).

Une sensibilisation accrue à la succession des exploitations agricoles en dehors de la famille, surtout s’il n’y a pas de successeur dans la famille, est un moyen de réduire la discrimination dans l’accès à la terre. Cette solution au niveau social est poursuivie par l’Association des petits paysans et son programme sur la succession extra-familiale des exploitations agricoles, qui est soutenu par le gouvernement fédéral. L’association encourage et aide les agriculteurs à commencer à planifier leur retraite et la succession de leur exploitation à un stade précoce. Ainsi, ils ont plus de chances de réussir la transmission de l’exploitation au lieu d’être pressés et de ne voir aucune alternative à la fermeture de l’exploitation et à la vente ou à la location des terres. En octobre 2021, l’association comptait 130 profils de personnes à la recherche d’une exploitation agricole et 16 profils d’exploitations à reprendre (Kleinbauern-Vereinigung 2021). Un engagement supplémentaire de la Confédération sur le thème de la succession et de la retraite est déjà en cours (OFAG 2021). Cependant, même lorsqu’il existe une volonté de donner l’exploitation à une personne extérieure à la famille, plusieurs obstacles subsistent. Selon Bettina Erne, qui travaille pour le programme de succession extrafamiliale des exploitations agricoles, les principaux obstacles sont la capacité de financer durablement l’entreprise du côté des successeurs, et la capacité et la volonté de cohabiter ou de quitter le bâtiment de l’exploitation du côté des agriculteurs qui prennent leur retraite. Les actions visant à réduire les obstacles à l’accès à la terre pour les jeunes au niveau social et de la sensibilisation doivent donc être soutenues par des actions à d’autres niveaux.

Valentina Hemmeler Maïga, ainsi que Laurent Vu, de la ferme collective Jardins de Cocagne, estiment qu’il faut ouvrir la loi à des formes juridiques plus collectives pour gérer les exploitations, en dehors du modèle familial dominant. En outre, l’ensemble des lois actuelles favorise l’agriculture familiale et discrimine les personnes extérieures aux familles agricoles. Cependant, selon Johanna Huber, même les acteurs progressistes tels que le syndicat paysan·ne de gauche Uniterre – membre de La Vía Campesina – ne sont pas convaincus que la modification des lois sur la terre sera fructueuse. Dans une large mesure, les lois actuelles protègent les terres agricoles de l’urbanisation, de la spéculation et de l’accaparement par les entreprises, et contribuent ainsi à préserver l’agriculture familiale et paysanne et, plus largement, l’accès à la terre. Hemmeler Maïga, quant à elle, pense que les juristes sont assez intelligents pour formuler des articles qui peuvent faciliter l’accès des jeunes agriculteurs, notamment ceux qui n’ont pas la perspective d’hériter d’une ferme, ou qui veulent travailler dans un collectif, ou les deux, sans risquer l’appropriation des terres par des acteurs corporatifs ou financiers.

Une autre approche pour améliorer l’accès à la profession d’agriculteur est l’amélioration de la situation économique de l’agriculture, en lien avec l’article de l’UNDROP sur l’accès aux ressources économiques (Art 17.2). Laurent Vu souhaite un soutien financier plus important pour les jeunes agriculteurs. Un tel soutien financier existe déjà en partie, puisque le gouvernement fédéral suisse accorde des crédits sans prêt pour la reprise d’une exploitation. Cependant, les aspirants agriculteurs dépendent toujours aussi du capital provenant d’autres sources, notamment de la banque. Globalement, l’activité agricole doit être rentable à moyen terme pour que les investissements initiaux et les hypothèques soient remboursés et que les agriculteurs puissent financer leur retraite. Des changements structurels concernant les prix que les agriculteurs peuvent obtenir pour leurs produits, notamment en reconsidérant les accords économiques internationaux, plutôt que des injections financières ponctuelles, sont nécessaires, en particulier pour contrecarrer les tendances actuelles qui font que l’agriculture devient de plus en plus une économie d’échelle, ce qui entraîne une nouvelle disparition des exploitations.

Conclusion

Il existe des barrières sociales, juridiques et surtout économiques interdépendantes à l’accès à la terre pour les jeunes à Genève et plus largement en Suisse, notamment pour les aspirants agriculteurs issus de familles non agricoles. Ce qui semble d’abord être un paradoxe – un grand nombre d’agriculteurs cessant leurs activités alors que certains jeunes peinent à trouver une exploitation à reprendre – est en fait logiquement lié. Les exploitations agricoles disparaissent et les jeunes peinent à reprendre des exploitations parce que l’agriculture n’est plus une activité durablement rentable en Suisse. Bien qu’il existe dans l’administration du canton de Genève une prise de conscience de la problématique et une volonté d’améliorer l’accès au foncier pour les jeunes, le problème sous-jacent de la non-rentabilité économique de la petite et moyenne agriculture doit être abordé au niveau national. La question de l’accès à la terre pour les jeunes n’est qu’une sous-question d’une question plus vaste : La Suisse veut-elle continuer sur la voie de la disparition « naturelle » des exploitations agricoles, ou veut-elle une agriculture diversifiée, vivante et résiliente pour les générations à venir ? La deuxième voie est celle de la souveraineté alimentaire, pour laquelle l’UNDROP peut servir de document d’orientation.

Bibliographie

Lois nationales et cantonales
Bundesgesetz über das bäuerliche Bodenrecht (Agricultural/peasant land law), 4. Oktober 1991 (Stand am 1. Januar 2014).

Bundesgesetz über die landwirtschaftliche Pacht (Law on agricultural lease), 4. Oktober 1985 (Stand am 1. Januar 2014).

Loi modifiant la loi sur la promotion de l’agriculture (Modified law on the promotion of agriculture), du 1er juillet 2021.

Raumplanungsgesetz (Spatial planning act), 22. Juni 1979.

Littérature
Augustins, Georges. 1989. ‘Chapitre 11. Succession et héritage’. In Comment se perpétuer?: devenir des lignées et destins des patrimoines dans les paysanneries européennes, 47–75. Société d’éthnologie.

Contzen, Sandra, ed. 2004. ‘Frauen in der Mannerdomane Landwirtschaft. Aufgezeigt am Beispiel von zehn landwirtschaftlichen Betriebsleiterinnen in der Schweiz’. Agrarwirtschaft und Agrarsoziologie. https://doi.org/10.22004/ag.econ.31992.

Droz, Yvan. 2001. ‘Le paysan jurassien : un fonctionnaire qui s’ignore ?’ Journal des anthropologues. Association française des anthropologues, no. 84 (January): 173–201. https://doi.org/10.4000/jda.2617.
———. 2017. ‘Amour, famille et entreprise : la transmission du patrimoine au sein de l’entreprise familiale’. Recherches familiales n° 14 (1): 9–22.

Droz, Yvan, and Jérémie Forney, eds. 2007. Un Métier sans Avenir ? La Grande Transformation de l’agriculture Suisse Romande. DéveloppementS. Genève: Institut universitaire d’études du développement ; Paris Karthala.

Droz, Yvan, Fenneke Reysoo, Valérie Miéville-Ott, Nadine Boucherin, Federica Manfredi, Ruth Rossier, Sandra Contzen, and Jérémie Forney, eds. 2014. Genre, Générations et Égalité En Agriculture: Transformations Des Configurations Familiales et Des Représentations de La Masculinité et de La Féminité En Suisse. S.l.: FNS.

FOAG. 2021. ‘Forschung und Beratung mit Fokus «Bauernfamilie»’. Agrarbericht 2021. 2021. https://www.agrarbericht.ch/de/mensch/bauernfamilie/forschung-und-beratung-rund-um-die-bauernfamilie.

Forney, Jérémie, and Yvan Droz. 2018. ‘Les entreprises agricoles neuchâteloises’. In Entreprises neuchâteloises : entre continuité et renouvellement, 50–71.

FSO. 2021a. ‘Anteil der Bewirtschafter/innen nach Altersklasse’. 2021. https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/land-forstwirtschaft/landwirtschaft/soziale-aspekte.html.

———. 2021b. ‘Löhne, Erwerbseinkommen und Arbeitskosten’. 2021. https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/arbeit-erwerb/loehne-erwerbseinkommen-arbeitskosten.html.

———. 2021c. ‘Produktion und finanzielle Aspekte’. Landwirtschaft: Produktion und finanzielle Aspekte. 2021. https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/land-forstwirtschaft/landwirtschaft/produktion-finanzielle-aspekte.html.

Gichimu, Bernard M., and Lucy K. Njeru. 2014. ‘Influence of Access to Land and Finances on Kenyan Youth Participation in Agriculture: A Review’, September. http://repository.embuni.ac.ke/handle/123456789/250.

Golay, Christophe. 2020. ‘The Right to Land and the UNDROP. How Can We Use the UNDROP to Protect the Right to Land?’ Geneva Academy and the International Land Coalition. https://www.geneva-academy.ch/joomlatools-files/docman-files/Guide%20the%20right%20to%20land%20and%20UNDROP%20(1).pdf.
Häberli, Isabel. 2021. ‘Die Hofnachfolge ganzheitlich und frühzeitig angehen’. Agrarforschung Schweiz, no. 12: 57–63.

Kleinbauern-Vereinigung. 2021. ‘Newsletter Ausserfamiliäre Hofübergabe’.
Kosec, Katrina, Hosaena Ghebru, Brian Holtemeyer, Valerie Mueller, and Emily Schmidt. 2018. ‘The Effect of Land Access on Youth Employment and Migration Decisions: Evidence from Rural Ethiopia’. American Journal of Agricultural Economics 100 (3): 931–54. https://doi.org/10.1093/ajae/aax087.

Ploeg, Jan Douwe van der. 2020. ‘From Biomedical to Politico-Economic Crisis: The Food System in Times of Covid-19’. The Journal of Peasant Studies 47 (5): 944–72. https://doi.org/10.1080/03066150.2020.1794843.

Rossier, Ruth, and Patricia Felber. 2007. ‘Quality of life of retired farmers.’ Revue Suisse d’Agriculture 39 (6): 317–20.

United Nations. 2018. ‘Declaration on the Rights of Peasants and Other People Working in Rural Areas’.

White, Ben. 2019. ‘Rural Youth, Today and Tomorrow’. 48. IFAD Research Series. IFAD.
Yeboah, F. K., T. S. Jayne, M. C. Muyanga, and J. Chamberlin. 2019. ‘Youth Access to Land, Migration and Employment Opportunities: Evidence from Sub-Saharan Africa.’ IFAD Research Series, no. 53. https://www.cabdirect.org/cabdirect/abstract/20203324917.

A lire également