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Lancement du livret UNDROP au Brésil : Puissance, espoir et résistance !

Après près de deux décennies de lutte pour faire avancer l’agenda des droits des paysans dans les instances internationales des Nations Unies, la Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales a finalement été adoptée en 2018. Quelle grande victoire pour les nombreux mouvements sociaux et organisations qui ont persisté à se battre pour cette déclaration ! Comme toute victoire doit être célébrée, au Brésil, le lancement de la version portugaise de la brochure de l’UNDROP s’est accompagné de musique, de poésie et de discours inspirants prononcés par des représentants des mouvements sociaux ainsi que par d’importants politiciens et des intellectuels reconnus au niveau national.

Le format en ligne de l’événement, qui s’est tenu en direct sur la chaîne Youtube de La Via Campesina Brazil, a facilité la participation de nombreux paysan·nes et militant·e·s de tout le pays, qui, en plus de prononcer des discours forts, ont également scandé des chansons et récité des poèmes qui véhiculaient un mélange des subjectivités qui caractérisent leurs multiples luttes quotidiennes. Ces éléments artistiques et symboliques, qui sont au cœur de ce que des mouvements comme le Mouvement Brésilien des Travailleurs Sans Terre (MST) appellent le « mystique », ont en effet égayé l’événement tout au long de son déroulement. Bien que j’encourage nos lecteurs à les percevoir en regardant l’enregistrement vidéo, cet article sera consacré à la mise en évidence d’autres points clés de ce puissant événement de lancement.

La modération de la réunion a été assurée avec joie par Marina dos Santos, qui est une militante du MST, et Tchenna Maso, qui représentait le Mouvement des Peuples Affectés par les Barrages (MAB) – les deux mouvements sont membres de La Vía Campesina Brésil. Alors que le sourire constant sur leurs visages révélait le précieux sentiment de réussite que l’UNDROP a apporté aux paysans du Brésil et du monde entier, une partie de leurs messages portait sur l’importance de diffuser largement le livret de la déclaration au sein de la paysannerie nationale et parmi leurs réseaux de mouvements sociaux. Maintenant que l’importante lutte pour l’adoption de cette Déclaration des droits des paysans aux Nations Unies a pris fin, une nouvelle lutte pour la mise en œuvre de l’UNDROP aux niveaux mondial, régional, national et local commence.

« Nous avons fait cet effort, en tant que paysans, pour construire cette déclaration qui est la nôtre, pour traduire cette déclaration en portugais, et maintenant nous allons la mettre en œuvre dans notre pays ! (…) Tout le monde peut chercher la brochure de l’UNDROP en version portugaise sur les sites web du MST, MAB, MMC, MPA. Diffusons-la largement sur notre whatsapp, transmettons-la à tout le monde ; organisons des ateliers dans nos territoires pour pouvoir diffuser cette déclaration à tous les paysans. (…) Faisons circuler la déclaration dans nos canaux médiatiques afin que nous puissions nous approprier ce contenu et relever le défi de faire avancer le Brésil dans la mise en œuvre de cette déclaration. Commençons à l’utiliser dans nos revendications et nos réaffirmations. » – Tchenna Maso (représentant du MAB)

« Cette déclaration est le résultat des luttes, des demandes, des résistances et des réalisations des peuples ruraux. Elle met en marche un outil qui nous permet de construire des politiques publiques, qui nous permet de faire pression sur les parlementaires dans toutes les sphères (municipales, étatiques, fédérales), et qui nous permet également de travailler dans la perspective d’éliminer les injustices sociales et de développer des politiques pour renforcer la réforme agraire et l’agriculture paysanne familiale dans tout notre pays. (…) Il est très important que tout le militantisme des mouvements ruraux, que les alliés dans la lutte pour la terre, pour la réforme agraire, pour de meilleures politiques et de meilleures conditions de vie dans les campagnes utilisent ce livret, cette déclaration, comme un instrument didactique pour notre base dans le sens de la promotion des droits qui sont garantis dans cette déclaration comme un processus de sensibilisation aux multiples luttes, confrontations, conflits, etc. Ainsi, nous pensons que cette réalisation et ce lancement de la déclaration ici au Brésil viennent renforcer notre trépied des luttes du mouvement populaire (organisation, formation et travail de fondation, et la lutte) dans le sens où nous nous renforçons et continuons notre processus de lutte et de résistance. Donc, c’est une joie immense pour nous. » – Marina dos Santos (représentante du MST)

L’événement a également permis de consolider les relations entre les mouvements sociaux et les parlementaires partageant les mêmes idées qui sont désormais conscients de l’existence de l’UNDROP et uniront leurs forces pour faire pression en faveur de sa mise en œuvre au niveau national. Dans leurs discours, les parlementaires du Parti des travailleurs (PT) ont fait l’éloge de l’UNDROP et ont réaffirmé le rôle clé joué par les paysans brésiliens pour nourrir la nation et protéger son environnement par des pratiques durables. Gleisi Hoffmann, membre du Congrès fédéral et présidente du PT, a réaffirmé l’engagement du parti à soutenir les paysans brésiliens dans leur lutte commune pour la sécurité alimentaire au Brésil, tandis que le sénateur Humberto Costa (PT) s’est personnellement engagé à être une voix active pour les droits des paysans au Sénat brésilien.

« Je tiens à saluer le lancement de la brochure sur les droits des paysans. La garantie des droits de ceux qui produisent des aliments pour le peuple est fondamentale et fait partie de notre lutte pour la sécurité alimentaire. Le PT sera toujours du côté de ceux qui garantissent la subsistance et le développement du peuple brésilien. Je vous embrasse tous et comptez sur nous dans cette lutte. » – Gleisi Hoffmann (Président du Parti des travailleurs, PT)

« L’agriculture familiale ou paysanne au Brésil joue un rôle très important pour notre pays, que ce soit d’un point de vue économique car sa production représente une richesse pour notre pays, ou du point de vue de la garantie des aliments consommés quotidiennement par tous les Brésiliens. En outre, il s’agit d’une activité qui garantit l’occupation, le travail et l’emploi de millions et de millions de Brésiliens qui, autrement, viendraient certainement grossir les rangs des personnes appauvries qui vivent dans les grandes villes brésiliennes. (…) Je voudrais également établir un engagement ici aujourd’hui. Aujourd’hui, j’ai déjà des relations très étroites avec les mouvements de travailleurs sans terre, avec les mouvements de travailleurs ruraux. Je voudrais renforcer ces relations, je voudrais mettre mon mandat à la disposition du Sénat pour que nous puissions présenter des projets et des propositions qui vont dans le sens de la promotion des droits de ceux qui travaillent dans l’agriculture paysanne et familiale. Et je veux me rendre disponible pour continuer à être l’une des voix au Parlement qui se bat pour l’agriculture familiale et les droits des travailleurs ruraux dans notre pays. » – Humberto Costa (Sénateur, PT)

À cette occasion, les politiciens étaient également représentés par le militant paysan du Mouvement des petits agriculteurs (MPA) Evânio Oliveira, qui a un mandat en cours en tant que conseiller municipal de Malhada das Pedras (État de Bahia). Dans son discours, prononcé directement depuis le champ de sa plantation, Evânio a souligné l’importance de l’UNDROP dans la création d’un espace permettant aux États et aux gouvernements de reconnaître davantage l’importance des zones rurales et des travailleurs ruraux – en particulier par rapport au secteur économique du pays.

« Pour nous, il est extrêmement important que l’ONU déclare les droits des paysans. Cette catégorie, cette classe, sont celles qui luttent chaque jour pour garantir la nourriture sur la table de la population mondiale (…) Cette déclaration ouvrira des espaces pour que les nations, les gouvernements, les organisations et les entités puissent reconnaître la campagne comme un espace important. Mais, plus encore, elle valorise, défend et donne du pouvoir aux populations rurales afin qu’elles puissent avoir de la dignité et jouer le rôle important et stratégique qu’elles ont toujours joué dans l’histoire de l’humanité: produire des aliments sains tout en défendant et en préservant la biodiversité. (…) Les hommes et les femmes ruraux ont une importance énorme dans l’économie de nos communes, dans l’économie solidaire, dans l’économie des familles. Enfin, cette déclaration est d’une importance capitale et nous devons la valoriser, mais pour la valoriser, nous devons instrumentaliser de plus en plus le débat et, en même temps, construire des instruments pour que cette déclaration ait vraiment un effet sur la vie de ceux qui se battent pour un bout de terre, qui se battent pour la production d’aliments sains et qui se battent pour la dignité et la diversité dans les zones rurales. » – Evânio Oliveira (conseiller municipal et représentant du MPA)

La juriste brésilienne des droits de l’homme Deborah Duprat, largement reconnue, a également fait part de son point de vue sur la déclaration et a souligné le fait que l’UNDROP est le résultat direct d’une lutte et d’une mobilisation paysannes de longue haleine. Selon elle, la déclaration met en évidence le traitement pervers réservé aux paysans par les nations étatiques ainsi que les multiples violations subies par les populations rurales dans plusieurs domaines de la vie. Elle souligne également les mesures anticonstitutionnelles prises par l’actuel gouvernement fédéral du Brésil dans ses tentatives de révision de la politique nationale des droits de l’homme sans la participation de la société civile.

« Je pense que nous devons, en ce moment de célébration, souligner très fortement le fait que cette déclaration est le résultat de luttes paysannes organisées. (…) J’insiste sur ce point à un moment où le gouvernement brésilien tente de réviser la politique nationale des droits de l’homme exclusivement avec des agences gouvernementales et en excluant la participation sociale, ce qui, en plus d’être inconstitutionnel, va à l’encontre de nombreux traités et conventions signés par le Brésil. (…) La déclaration rappelle que ces personnes, si importantes dans les zones rurales, sont la cible de violences de toutes sortes:

dans l’accès à la terre (du fait du refus des États de faire des avancées quant la réforme agraire, aux droits territoriaux pour ces personnes) ;

dans le manque de reconnaissance de la dignité de leur travail (la déclaration renforce divers documents produits dans le cadre de l’OIT);

dans l’accès à une alimentation adéquate (bien qu’ils en soient les producteurs, les paysans sont les premiers touchés par la faim extrême);

dans les droits à l’éducation tant pour les paysans que pour leurs enfants ; et dans les droits culturels.

Par conséquent, la déclaration rend visible la façon dont l’État national traite ce segment de la population brésilienne d’une manière aussi perverse. Je pense qu’il est également nécessaire de souligner l’importance de cette traduction en portugais pour l’incorporation [de l’UNDROP] dans les luttes quotidiennes, mais aussi pour [son] incorporation dans notre droit interne, dans notre système judiciaire. » – Deborah Duprat (juriste brésilienne)

En tant que plus grand mouvement agraire transnational étroitement impliqué dans la lutte pour la reconnaissance et l’adoption de l’UNDROP aux Nations Unies, La Vía Campesina était officiellement représentée dans cet événement de lancement par deux représentants de sa Coordination latino-américaine des organisations rurales – CLOC : Perla Alvarez, membre de la Conamuri (Paraguay) ; et Anderson Amaro, membre du MPA (Brésil). Tout en reconnaissant la déclaration comme un outil précieux dans les luttes collectives des paysans, ils ont souligné la contribution qu’elle apporte dans l’identification de la catégorie souvent invisible des paysans en tant que détenteurs de droits et sujets clés dans la société.

« Cette déclaration est le produit de nos luttes, de nos espoirs placés dans un document qui sert d’autre outil de lutte comme ceux que nous développons sur nos terres, comme ceux que nous développons dans notre marche quotidienne. Cet outil – la déclaration – résume en quelque sorte une partie de nos revendications pour la jouissance de nos droits en tant que peuple rural qui a été historiquement rendu invisible. Dans ce document, pour la première fois, nous sommes reconnus comme des paysans, des personnes qui vivent et travaillent en milieu rural. Il me semble que c’est une question importante que nous devons mettre en avant et que nous pouvons utiliser cette déclaration pour nous faire respecter en tant que personnes, en tant que sujets, car souvent on ne nous voit pas et nous sommes très importants parce que nous produisons de la nourriture et produisons de la vie, non seulement pour nous, mais pour toute l’humanité. » – Perla Alvarez (Conamuri, CLOC)

« Cette déclaration met en lumière l’invisibilité dont nous souffrons au Brésil depuis plus de 500 ans, les paysans et les paysannes qui sont responsables de la production de la majeure partie de l’alimentation du peuple brésilien et qui ont besoin d’accéder à la terre, à l’eau, à des semences de qualité, à un logement décent pour vivre. Les paysans viennent maintenant nous donner ce droit très fondamental, le droit à la collectivité. Ces droits collectifs qui ont nécessité presque 20 ans de lutte pour que l’ONU les reconnaisse comme quelque chose de nécessaire afin que nous puissions avoir un outil à brandir dans nos luttes et nous battre pour ces garanties. Le grand défi qui reste maintenant pour nous tous est le trépied : formation, organisation et lutte ». – Anderson Amaro (MPA, CLOC)

L’événement de lancement de la version portugaise de l’UNDROP au Brésil a été une démonstration puissante de l’union entre de multiples mouvements sociaux et des membres du gouvernement, des intellectuels, etc. Il a démontré l’engagement de ces différents secteurs à faire avancer l’agenda des droits des paysans dans le pays et à poursuivre les efforts combinés en faveur de la justice sociale pour les populations rurales au Brésil. Ceci intervient précisément à un moment où le pays est dirigé par le gouvernement le plus autoritaire et le plus conservateur depuis le déclin de la dictature en 1985.

L’administration néolibérale d’extrême droite de Jair Bolsonaro est un soutien vorace du secteur agro-industriel brésilien et accumule les accusations de violations des droits de l’homme. Elle est directement responsable de la forte augmentation des niveaux de faim et d’insécurité alimentaire grave qui frappent actuellement 33 millions de Brésiliens, soit 15 % de la population nationale. La mise en œuvre de l’UNDROP au Brésil dans de telles circonstances est à la fois un grand défi et un besoin impératif pour les populations rurales brésiliennes et leurs alliés. Si l’UNDROP arrive au Brésil comme un outil que les paysans, les mouvements, les organisations et les politiciens peuvent utiliser en faveur de la justice sociale pour les populations rurales, la mise en œuvre de la déclaration au Brésil exigera une forte mobilisation aux multiples niveaux de la politique nationale.

Au moment où cet article est écrit, en novembre 2022, sept militants du MST viennent d’être élus pour les quatre prochaines années comme parlementaires dans les chambres législatives fédérales et étatiques – dont Marina dos Santos qui a animé cet événement de lancement. Cette représentativité directe au cœur de la politique brésilienne est en effet une grande victoire pour l’avancement de l’agenda des droits des paysans dans le pays, puisque le MST sera plus fortement mobilisé dans les arènes politiques clés. De plus, la récente victoire de Lula da Silva sur Bolsonaro renforce notre espoir et notre enthousiasme dans la lutte pour la mise en œuvre de la UNDROP au Brésil. Avec le retour de Lula au pouvoir, un avenir plus prospère nous attend avec impatience. Alors que la démocratie brésilienne soupire de soulagement, notre lutte continue avec encore plus de force !

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