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Évènement parallèle à l’ONU : Défis et bonnes pratiques dans la promotion des droits des paysans et travailleurs ruraux en Amérique latine

Le 18 septembre 2025, à l’occasion de la 60e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ONU), une conférence parallèle a réuni au Palais des Nations Unies à Genève des acteurs engagés pour la protection des droits des communautés rurales. Intitulé « Faire progresser les droits des paysans et des autres personnes travaillant en zones rurales à travers l’UNDROP : défis et bonnes pratiques en Amérique latine ». Co-organisée par la Via Campesina, le Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche (WFFP), FIAN International et le CETIM, avec le soutien de l’Académie de droits humains de Genève, RAISE et la coalition suisse « Les Amis de la Déclaration », cette conférence a été l’occasion de discuter des enjeux majeurs et des initiatives novatrices avec des mouvements paysans et des États engagés en faveur des droits des paysans en Amérique latine.

Cet événement visait entre autres à mettre en lumière les multiples défis auxquels sont confrontés actuellement les communautés rurales dans le monde. Il visait également à explorer comment la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) pouvait influer sur les cadres juridiques et politiques afin de mieux protéger ces communautés, renforcer leurs droits et promouvoir la justice sociale. Enfin, l’événement a permis de mettre en avant la mobilisation des mouvements paysans et des organisations rurales à travers l’Amérique latine, qui œuvrent à tous les échelons pour promouvoir et mettre en œuvre l’UNDROP.

En tant que modératrice, Sibylle Dirren, représentante de FIAN International auprès de l’ONU, a souligné le rôle crucial de l’UNDROP comme outil puissant de défense et de promotion des droits des communautés rurales.

Carlos Duarte, Président du Groupe de travail d’Experts de l’ONU sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zones rurales, a rappelé la situation critique des communautés rurales, confrontées à la dépossession, au manque d’accès à la terre et à l’eau, ainsi qu’à l’accaparement des ressources naturelles. Il a déploré les difficultés des organisations paysannes à se faire entendre dans les forums internationaux, comme les COP ou la Convention mondiale sur la biodiversité, alors même que ces communautés sont directement concernées par la protection de la biodiversité et les enjeux climatiques. M. Duarte a également pointé la persécution et la répression dont sont victimes les dirigeants paysans dans de nombreuses régions du monde. Enfin, il a insisté sur la nécessité de renforcer la participation des femmes rurales, souvent invisibilisées alors qu’elles sont « la colonne vertébrale du monde paysan ».

Alfonzo Simon Raylan, représentant du Syndicat des Travailleurs de la Mer (SITRAMAR), organisation membre du Forum mondial des peuples pêcheurs, a tiré la sonnette d’alarme sur la situation des pêcheurs de la région autochtone de Ngöbe-Buglé (Panama). Depuis 2010, sous-prétexte de la conservation environnementale, une interdiction de pêche prive ces communautés de leur principale source de subsistance, accentuant la pauvreté et la faim. Les populations vivent dans des conditions difficiles, avec un accès limité à l’éducation, aux soins de santé et aux services de base. M. Raylan a dénoncé l’absence de soutien de l’État et la répression violente subie par les peuples autochtones lorsqu’ils défendent leurs droits.

Trois représentants de La Via Campesina du continent latino-américain ont partagé leurs expériences par message-vidéo. Martha Huertas Moya, membre de FENACOA/La Via Campesina Colombie, a dressé un bilan encourageant pour la paysannerie colombienne, longtemps marginalisée. La reconnaissance des droits des paysans dans la Constitution du pays et dans les politiques publiques a permis une meilleure distribution foncière et la garantie de droits auparavant inaccessibles. Elle a néanmoins insisté sur la nécessité de créer une juridiction agraire et rurale et d’augmenter les budgets alloués au monde paysan pour consolider ces avancées. Arturo Aliaga, membre de l’ANAP/La Via Campesina Cuba, a souligné les avancées concrètes en matière de droits des paysans, de souveraineté alimentaire et d’agroécologie dans le pays. Le représentant paysan a déclaré que, grâce à la volonté politique affirmée des autorités compétentes et à la capacité de l’ANAP de participer directement à l’élaboration de politiques publiques ainsi qu’à la mise en place de cadres législatifs en la matière, la promotion et l’application de l’UNDROP sont désormais une réalité. Anderson Amaro, représentant du MPA/La Via Campesina Brésil, a présenté la manière dont les mouvements sociaux ruraux brésiliens mobilisent l’UNDROP dans leur lutte pour des conditions de vie et de travail dignes. Plus précisément, le leader paysan a évoqué la stratégie de plaidoyer en cours, qui vise à intégrer la Déclaration dans les travaux des acteurs du système judiciaire national, des Ministères compétents, ainsi que dans l’agenda parlementaire national et départemental.

Adriana Fillol Mazo, Professeure à l’Université de Séville et à l’Académie de Genève, a présenté l’UNDROP comme un outil juridique concret pour protéger les communautés rurales. Elle a cependant relevé l’existence de plusieurs menaces, comme la numérisation et les technologies agricoles qui peuvent accroître la dépendance et l’exclusion. Le manque de relève générationnelle fragilise également l’avenir de l’agriculture paysanne. Les femmes rurales font aussi face à des obstacles importants pour accéder à la terre et à une vie digne. À cela s’ajoutent la pression économique, la violence et l’incertitude climatique, à l’origine d’une crise silencieuse de santé mentale dans les campagnes. Elle a conclu en appelant à considérer les paysans, pêcheurs et peuples autochtones non pas comme des problèmes à gérer, mais comme d’essentiels partenaires stratégiques pour construire des systèmes alimentaires justes, résilients et durables.

Raffaele Morgantini, représentant du CETIM auprès de l’ONU, a clôturé cet événement sur une note d’espoir pour les communautés rurales, grâce à l’émergence de jurisprudences progressistes. En effet, des décisions favorables aux droits des paysans apparaissent dans plusieurs systèmes judiciaires. Au Honduras, la Cour suprême a invoqué l’UNDROP pour protéger les semences paysannes contre la « loi Monsanto », une loi adoptée par le Parlement qui favorisait les semences industrielles qui a ainsi été abrogée. En Colombie, la Cour constitutionnelle a accordé sa protection à un couple de paysans contraints d’abandonner leurs terres après des inondations répétées. Ou encore, en février 2020, la Cour inter-américaine des droits de l’homme a rendu un arrêt dans lequel elle ordonnait le rétablissement d’une population autochtone sur sa terre ancestrale, utilisant de manière complémentaire l’UNDROP et l’UNDRIP (Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones). D’autres exemples existent au Kenya ou au Canada, couvrant des droits liés aux semences et à la santé. M. Morgantini a souligné que ces avancées n’auraient été possibles sans des alliances solides entre mouvements paysans, défenseurs des droits humains, juristes, académiciens et l’engagement des autorités publiques. Ces collaborations permettent de transformer les principes en actions concrètes dans les communautés rurales, les tribunaux et les politiques nationales.


Lisez également notre interview exclusive du président du groupe de travail Carlos Duarte et notre article sur le rapport dudit groupe de travail présenté lors de la 60e session du Conseil des droits de l’homme.

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